Réhabiliter le populisme pour sauver la démocratie?

-copie

par vincent cheval


Victoire de Trump, succès du Brexit, arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte aux Philippines, durcissement du pouvoir d’Erdoğan en Turquie, succès de Narendra Modi en Inde, passage de Marine Le Pen au second tour des élections présidentielle en France et entrée de l’AfD au Bundestag… Le Canada lui-même, pourtant acclamé à travers le monde comme LE parangon de la démocratie libérale multiculturelle, semble pouvoir céder à la vague populiste, comme l’avance l’auteur de Could It Happen Here? Canada in the Age of Trump and Brexit, Michael Adams


Qu’est ce qui permet d’unifier sous une même étiquette des mouvements, des personnalités et des pays aussi variés ? Populisme, le mot est lâché. Depuis une dizaine d’années le terme est régulièrement évoqué dans les médias occidentaux au gré des succès électoraux de formation d’extrême-droite.

Le qualificatif de populiste désigne des mouvements politiques qui se réfèrent au peuple pour l'opposer à une élite, à des privilégiés ou à toute minorité ayant "accaparé" le pouvoir à des fins égoïstes. Le populisme n’est dès lors pas une idéologie structurée mais désigne une modalité d’action politique. L’acceptation contemporaine du mot remonte au XIXe siècle. Elle prendrait racine d’une part dans le mouvement paysan révolutionnaire russe des narodniks, créé en 1876, et d’autre part dans le People Party fondé aux Etats-Unis en 1891, formation progressiste de tradition rurale voulant défendre le parti des opprimés et cela sans distinction raciale. Dans le monde francophone le terme apparait d’abord pour qualifier un mouvement littéraire qui prend soin d’intégrer la réalité des « petites gens » au sein d’une littérature résolument bourgeoise. Dans ce sens, le terme populiste restera revendiqué par le milieu intellectuel de gauche jusque dans les années 1970.

Une origine contemporaine a priori à mille lieux de la rhétorique de personnalités comme Marine Le Pen. De fait nous spécifierons à leur égard, et donc à celui de la plupart des mouvements évoqués en préambule, qu’il s’agit de « national-populismes ». Ce terme a été popularisé par Pierre-André Taguieff[1] pour qualifier l’émergence d’une extrême-droite européenne post-fasciste. Cette dernière a abandonné la critique raciale de l’immigration au profit d’une grille de lecture culturelle, le modèle autoritaire pour un recours fétichisé aux référendums populaires et défend une certaine forme de culture hédoniste face aux valeurs « rétrogrades » que véhiculeraient les immigrés. Evidemment le succès du national-populisme ne signifie pas que l’extrême-droite traditionnelle a disparu. Au contraire ces mouvements évoluent dans une cohabitation parfois forcée qui, au mieux, explose sous le poids de leurs contradictions ou, au pire, redonne de la vigueur aux mouvements néo-fascistes.

Si chaque cas relève de causes propres au pays ou à la région touchée par le phénomène, une dynamique commune semble pouvoir être identifiée : la crise du système démocratique sapée par la technocratie néo-libérale. Face à ce phénomène, les élites politiques traditionnelles se sont retrouvées reléguées à un rôle de représentation. Cet état d’impuissance des politiques entraine un désengagement massif de la vie publique. En effet, plus encore que les mouvements populistes, l’importance croissante et la permanence de l’abstention et du recours au vote blanc sont devenus les symptômes dans la plupart des démocraties occidentales d’une crise de confiance massive. Un abandon du jeu démocratique qui gonfle encore plus les voiles des mouvements populistes.

Voilà donc le choix qu’il nous reste ? Un populisme de repli confusément droito-gauchiste ou la secte néolibérale ? La solution serait elle, comme le propose Chantale Mouffe et Ernesto Laclau[2], un populisme sociale qui « radicaliserait » la démocratie ? Les exemples ne manquent pas, d’Occupy Wall Street à Podemos, et offrent des alternatives intéressantes mais qui ont montrés leurs limites. De plus il nous faut éviter le piège de ce que Taguieff nomme « l’illusion populiste », l’idée que le peuple est parfait et pur, afin de bâtir une alternative crédible. Une alternative non pas pour créer un national-populisme inversé mais pour réintégrer le souci du peuple au sein de la vie politique ; refaire des citoyens les acteurs imparfait mais incontournables de leurs propres vies.




[1] Politologue et historien des idées français spécialiste des questions de l’extrême-droite, du racisme et de l’antisémitisme. Se déclarant lui-même comme un « libéral social conservateur », il propose une définition et une lecture des mouvements national-populistes nuancé et clair dans son ouvrage Le nouveau national-populisme.

[2] Ernesto Laclau (1935-2014) était un théoricien « post-marxiste » argentin dont les travaux sont considérés comme la source d’inspiration idéologiques de nombreux mouvements de contestation et notamment le mouvement espagnol Podemos. Son épouse et complice, la politologue belge Chantale Mouffe, a développé une critique radical des démocraties libérales inspirée par les travaux de Carl Schmitt et qui sert de référence notamment au parti du français Jean-Luc Mélechon.