par jonathan durand folco
Remettre les villes au cœur du processus décisionnel afin qu’elles deviennent moteur du changement social ; c’est l’idée défendue par Jonathan Folco Durand. Une réflexion qui prend particulièrement son sens alors que les élections municipales sont dans leur dernière ligne droite.
À la veille des élections municipales du 5 novembre 2017, plusieurs personnes peuvent se demander à quoi sert de voter ; le taux de participation est assez faible (50% aux élections de 2013), la politique municipale intéresse peu de gens, et la voix des citoyens est très rarement entendue. En fait, les municipalités ne semblent pas disposer d’une marge de manœuvre suffisante pour répondre aux besoins des communautés locales et mettre en place un projet de société. Ainsi, la centralisation du pouvoir dans les mains de l’État, les compétences limitées des municipalités, un haut degré de dépolitisation et un important réseau de corruption n’aident pas à favoriser l’appropriation citoyenne des institutions locales. Étant donné qu’un important nombre de maires (47%) et de conseillers municipaux (56%) sont élus sans opposition, il n’est pas étonnant que les citoyens qui se détournent de la chose publique laissent place à des systèmes de collusion et de patronage qui sévissent à l’échelon municipal. Comme le soulignait Michel Chartrand : « si tu ne t’occupes pas de la politique, la politique va s’occuper de toi ».
Heureusement, ce visage sombre de la politique municipale n’est pas une fatalité. Dans différentes villes du monde, un nouveau mouvement « municipaliste » est en train de prendre forme : des « mairies indignées » d’Espagne aux communes confédérées du Rojava (région kurde en Syrie), en passant par la ville de Jackson au Mississippi, des groupes citoyens reprennent contrôle de la démocratie locale et expérimentent de nouvelles façons de décider, de produire et de vivre. Qu’est-ce que le municipalisme ? C’est la théorie et la pratique qui fait de la municipalité le tremplin d’une transformation démocratique de la vie sociale, économique et politique. L’idée classique de la conquête du pouvoir d’État fait place à celle de l’autogouvernement local, les « communes » devenant les piliers d’une transition vers une nouvelle société plus juste, solidaire et écologique. Loin d’être un nouveau mouvement, le municipalisme prend ses racines dans une longue tradition, celle de la Cité athénienne, les communes médiévales, les town hall meetings de la Nouvelle-Angleterre, la Commune de Paris, etc.
Comment les villes peuvent-elles changer le monde ? Par le renforcement des soutenabilités politique, économique, sociale, environnementale et territoriale. Par exemple, la soutenabilité politique est favorisée par l’expérimentation de nouvelles formes de démocratie participative et directe (budget participatif, tirage au sort, assemblées citoyennes). La soutenabilité économique prend forme via la relocalisation et la démocratisation de l’économie soutenue par les institutions publiques locales : économie sociale et solidaire, entreprises municipales, monnaies locales, circuits courts, etc. La soutenabilité sociale est favorisée par la lutte contre les discriminations (ex : profilage racial), la création de « villes sanctuaires » (accueil des réfugiés), les investissements dans le logement social ou encore les transports publics gratuits dans certaines villes d’Europe. De plus, la lutte contre les changements climatiques, la protection des espaces verts, le développement des énergies renouvelables et la résistance contre les projets de transports d’hydrocarbures (ex : Énergie Est) font des municipalités le fer de lance de la soutenabilité environnementale. Enfin, la soutenabilité territoriale est favorisée par la protection du patrimoine local, la planification urbaine participative, l’aménagement intelligent du territoire et le développement d’une véritable identité territoriale, régionale et municipale.
Évidemment, plusieurs objecteront que la plupart de ces belles initiatives et réformes ne peuvent pas s’appliquer dans le cadre québécois, car au sein de la constitution canadienne les municipalités sont des simples « créatures » de l’État provincial, avec des pouvoirs fortement limités. Si l’État du Québec a récemment adopté le projet de loi 122 qui reconnaît les municipalités comme « gouvernements de proximité » en leur octroyant davantage de responsabilités, cela s’accompagne souvent de coupures dans leurs ressources financières, amenant ainsi la subordination du palier municipal vis-à-vis les intérêts du gouvernement central. La forte dépendance des municipalités à la taxe foncière, laquelle favorise l’étalement urbain et l’influence disproportionnée des promoteurs immobiliers sur le développement local, de même que des compétences limitées sur le plan politique, économique, et environnemental, semblent militer en faveur de la thèse que les villes ne peuvent pas, dans les circonstances actuelles, contribuer de façon significative au changement social.
Heureusement, des « villes rebelles » commencent à s’insurger contre la centralisation du pouvoir dans les mains des élites économiques et politiques. En Espagne, des « plateformes citoyennes » issues du mouvement des Indignés ont réussi à gagner les élections municipales dans les principales villes du pays : Barcelone, Madrid, Séville, Valence, etc. Une stratégie innovatrice de « confluence », qui a permis de rassembler des partis progressistes, écologistes, des mouvements sociaux et associations citoyennes au sein de grandes coalitions, adossées à des primaires ouvertes et l’adoption d’un code d’éthique strict, a permis de réinventer l’action politique à l’échelle municipale. Du 9 au 11 juin 2017, j’ai eu la chance de participer au premier « Sommet international municipaliste » organisé à Barcelone, lequel avait pour titre Fearless Cities. Cet événement, qui a attiré des individus, groupes, et partis de plus de 150 villes à travers le monde, est le meilleur exemple que les municipalités commencent déjà à réinventer la démocratie à l’échelle locale.
À l’heure actuelle, il n’y a pas de tel mouvement au Québec, et les prochaines élections municipales s’annoncent pour être des courses opposant des partis traditionnels et des candidatures indépendantes. Néanmoins, il n’est pas impossible d’envisager qu’il serait possible d’organiser un réseau, une association, voire une nouvelle organisation politique qui pourrait rassembler les forces citoyennes et populaires dans différentes villes et villages du territoire après les élections de novembre 2017. À quoi ressemblerait un tel mouvement municipaliste au Québec, et qu’est-ce que des « mairies rebelles » pourraient mettre en œuvre comme actions, réformes, règlements, projets de développement et prises de position pour favoriser la transition vers une société plus juste, démocratique et écologique ? C’est maintenant à nous d’inventer et d’expérimenter ces innovations sociales, citoyennes et publiques à l’échelle municipale.