par daniel landry
Chaque année, des dizaines de stagiaires du Comité de solidarité Trois-Rivières (CS3R) partent quelques semaines ou quelques mois pour vivre une expérience à l’étranger. Qu’il s’agisse de la Bolivie, du Burkina Faso, de Cuba ou d’Haïti, l’expérience à l’étranger peut constituer une source d’appréhension, d’inquiétudes, de stress et d’anxiété. Avec raison! Car vivre à l’étranger, c’est parfois apprendre une nouvelle langue ou s’adapter à de nouvelles habitudes alimentaires, c’est être confronté à de nouvelles mentalités, valeurs et modes de vie. En somme, c’est perdre ses propres repères. Bien sûr, la capacité d’adaptation est très variable d’une personne à une autre, en fonction de leur éducation et de leur personnalité. Mais reste que chacun vit, à des degrés divers, le choc culturel.
D’où vient l’expression? De quoi s’agit-il?
C’est l’anthropologue canadien Kalervo Oberg qui utilise l’expression dès les années 1960 en parlant du choc culturel comme d’une « expérience de stress et de désorientation vécue par la personne devant apprendre à vivre dans une nouvelle culture.[1] » Il peut donc être vécu dans plusieurs contextes : l’apprentissage d’une nouvelle langue, le fossé générationnel ou technologique et, évidemment, le mal du pays.
Le choc culturel ne se limite donc pas au mal du pays. D’ailleurs, quand le sociologue québécois Fernand Dumont récite l’émigration qu’il a vécue[2], il fait plutôt référence à l’acquisition d’une culture savante qui l’a éloigné de sa culture familiale d’origine, au point de vivre une forme de choc culturel. Ainsi, le simple fait de partager un repas avec ses parents ouvriers et analphabètes représente un choc culturel pour un individu devenu un universitaire reconnu. Dans le cas de Dumont, surmonter le choc culturel, c’est accepter la cohabitation de ses deux cultures : ne pas renier son appartenance d’origine (culture première) et assumer ses acquis savants (culture seconde).
Les étapes du choc culturel
La psychologue Sonja Susnjar aborde les phases d’adaptation au choc culturel[3]. Elle parle de trois grandes étapes :
- La phase d’enthousiasme et d’euphorie face à la nouvelle culture, que certains nomment la lune de miel. C’est la période de découvertes. Tout paraît intéressant, stimulant, beau et bon. C’est l’envie de vivre de nouvelles expériences.
- La phase réactive. L’individu vit des crises. Il est frustré, se sent impuissant et isolé. Surtout, il est nostalgique, il s’ennuie et peut même vivre une anxiété profonde en regrettant de s’être placé dans une telle situation.
- La phase d’adaptation. L’individu adopte des stratégies adaptatives pour mieux vivre le choc. Il se construit un nouveau réseau social et fait les efforts pour mieux comprendre les us et coutumes de l’endroit. C’est le moment où il commence à mieux comprendre autrui en étant en mesure de se mettre à sa place, c’est-à-dire en adoptant une posture empathique.
Bien sûr, le choc culturel est plus intensément vécu dans le cas d’un séjour à l’étranger prolongé sur plusieurs années, qu’il s’agisse d’études à l’étranger ou d’une émigration. Le cas échéant, il peut cumuler en une quatrième phase qu’est celle de l’aisance biculturelle, c’est-à-dire cette capacité de se débrouiller aussi bien au sein des deux cultures. Quant aux courts séjours de quelques semaines ou quelques mois, ils nécessitent une bonne préparation pour s’assurer de ne pas rester coincé dans la deuxième étape du processus.
Figure 1 : Le processus du choc culturel, tel qu'illustré par le Bureau de la vie étudiante de l'Université Laval
Quelques façons de surmonter le choc culturel
Il s’avère difficile de prévoir à l’avance notre réaction, à l’orée d’un voyage à l’étranger. Notre capacité d’adaptation dépend d’une foule de facteurs sociologiques et psychologiques difficilement identifiables et mesurables. Tout de même, « les recherches tendent à démontrer que les individus les plus conscients de la relativité des valeurs culturelles, les mieux informés des différences culturelles et les plus empathiques vivent plus intensément le choc culturel. Par contre, s'ils réussissent à s'adapter, ils seront mieux intégrés à la culture d'accueil[4]. » Ainsi, peut-être est-il pertinent de planifier quelques stratégies adaptatives avant le départ. Retenons quatre d’entre elles et formulons-les sous forme de recommandations.
- Soyez curieux. Avant le départ et pendant l’expérience de voyage, intéressez-vous à tout ce que vous pouvez savoir de la culture rencontrée. Lisez sur l’histoire du pays. Apprenez les premiers rudiments de la langue. Écoutez la musique du pays et intéressez-vous à l’art et aux sports pratiqués. Informez-vous sur le système politique et les enjeux sociaux de l’endroit.
- Créez-vous un réseau social. Dès le début du séjour, participez aux activités auxquelles vous êtes convié : fêtes, activités sportives, visite de ville ou de village. Essayez de parler à une ou deux personnes différentes à tous les jours. Développez un projet personnel qui peut impliquer des locaux : projet photo, organisation d’un événement.
- Soyez patient. Il est normal de « pré- » juger les autres. Mais il faut tout faire pour aller au-delà des préjugés et essayer de comprendre les autres, leurs valeurs et leur mode de vie. Ne restez pas rigide sur vos opinions et donnez-vous le droit de changer vos idées préconçues. Soyez également patient face à vous-même. Il est normal de vivre des moments d’ennui, d’inquiétudes, de tristesse ou de frustration. Il faut s’en donner le droit, tout en se donnant les moyens d’en sortir.
- Partagez vos expériences. De manière à ne pas se sentir totalement isolé, il est important de garder contact avec nos proches. Pourquoi ne pas partager votre récit de voyage avec vos proches. Ceux-ci ne comprendront jamais totalement ce que vous vivez (une autre frustration, sans doute), mais ils verront à quel point cette expérience vous transforme. Partagez également votre expérience avec des collègues de voyage et de nouveaux amis locaux.
L’application de ces stratégies ne garantit pas nécessairement une adaptation parfaite. Mais elle assure un séjour plus stimulant et sans doute moins anxiogène.
[1] Université Laval. Direction des services aux étudiants. « Choc culturel et adaptation », Adresse URL : https://www.bve.ulaval.ca/etudiants-etrangers/vivre-a-quebec/choc-culturel-et-adaptation/, consulté le 7 septembre 2017.
[2] Fernand Dumont. Récit d’une émigration. Mémoires, Montréal, Boréal, 1997, 372 p.
[3] Sonja Susnjar. « Choc culturel », Bulletin Vies-à-vies, vol. 4, no 5 (avril 1992), Adresse URL : http://www.bei.umontreal.ca/bei/mtl_choc.htm, consulté le 7 septembre 2017.
[4] Sonja Susnjar. loc. cit.