par claude vaillancourt
Depuis plus de 20 ans, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) organise, avec le soutien du Ministère des Relations internationales et de la Francophonie (MRIF), les Journées québécoises de la solidarité internationale. Cet événement permet au public québécois de prendre part à de nombreuses activités relatives aux enjeux actuels de la solidarité internationale. Cette année, la culture comme outil d’influence politique est à l’honneur.
Notre système économique nous entraine à consommer la culture comme tout autre produit. Celle-ci doit avant tout nous divertir : nous fredonnons avec plaisir le succès musical de l’heure, nous restons accrochés pendant des années à une série télévisée, nous nous éblouissons devant le feu d’artifice d’effets spéciaux d’un film d’action hollywoodien. Ce qui permet à des multinationales du divertissement d’accumuler de gigantesques profits et de relancer en peu de temps des produits semblables et tout aussi rentables.
Mais il existe aussi une autre vision de la culture, selon laquelle elle doit être «convulsive», comme le disait le poète André Breton à propos de la beauté, ou «cruelle» comme le souhaitait l’homme de théâtre Antonin Artaud. La culture existe aussi — et surtout, selon certaines personnes — pour déranger, pour secouer le public, pour être le miroir de notre monde, pour exprimer toute la complexité de la condition humaine. Elle peut même à l’occasion dénoncer les injustices et s’attaquer à d’importants problèmes de société.
Chose certaine, elle n’est jamais neutre. La culture peut servir au pouvoir en place pour passer des messages rassurants, montrer que tout va bien et que nous devons nous contenter de notre sort. Elle peut devenir aliénante, comme le pensaient les philosophes de l’école de Frankfort, qui dénonçaient vertement la culture industrielle. Par l’art engagé, les artistes peuvent aussi se transformer en militants et soutenir des causes qui leur tiennent à cœur, tout en produisant des œuvres d’une grande qualité, comme certaines chansons de Richard Desjardins, ou les films de Costa-Gravas ou de Ken Loach.
Même dans sa production en apparence la plus dépourvue de sens, dans l’aspiration à faire de l’art pour l’art, il peut y avoir un message, celui de refuser d’aborder des problématiques contemporaines, de refuser de réfléchir sur le monde et son évolution. Pendant la guerre froide, par exemple, l’art abstrait a obtenu un appui très net des mécènes et de la CIA aux États-Unis pour contrer un art figuratif privilégié par les communistes.
L’aspect politique de la culture exige une certaine responsabilisation de la part du public. Celui-ci peut se contenter d’être passif, de recevoir ce qu’on lui transmet sans trop réfléchir. Ou il peut mettre en branle son sens critique et essayer de comprendre ce qui se cache derrière l’œuvre séduisante qu’il apprécie.
On se réjouit de l’histoire captivante d’un film de super-héros. Mais il est aussi possible de comprendre que ces films véhiculent des valeurs et une vision du monde très particulières. Dans cet univers de fantaisie, on vénère les armes, les conflits se résolvent par la violence, le monde se divise entre bons et méchants et le salut ne vient pas de soi-même, mais d’un individu supérieur qui sauvera le peuple incapable de se prendre en main. S’agit-il là d’une conception qui nous convient?
La marchandisation de la culture nous place devant un important dilemme : faut-il se tourner vers les œuvres qui plaisent au plus grand nombre, celles qui apparaissent en tête des palmarès, qui sont moussées par de grandes campagnes de publicité, dans les médias et dans les réseaux sociaux? Ou vers des créations moins connues, moins diffusées, parfois plus exigeantes, mais conçues le plus souvent beaucoup plus librement?
La société dans laquelle nous vivons nous pousse largement à privilégier les œuvres les plus connues. Parce qu’on en parle davantage forcément, parce que la publicité produit un puissant effet d’attraction, et pour partager ce que nous avons éprouvé avec les personnes de notre entourage. La culture a très souvent un effet unificateur dont il est difficile de se priver.
Grâce à ces produits de grande diffusion, les entreprises culturelles font d’importantes économies d’échelle : il coûte cher de produire et mettre en marché un film, une chanson et même un roman, mais pas de les reproduire en d’énormes quantités. L’industrie de la culture se nourrit donc essentiellement d’immenses succès générateurs de profits élevés. Et des moyens considérables sont mis en place pour que ce système se perpétue.
La culture peut être standardisée, conformiste, anesthésiante, s’approchant même parfois de la propagande. Mais elle est aussi extrêmement diversifiée, exprimant une multiplicité de points de vue, souvent même subversive, audacieuse, exigeante. Chose certaine, pour l’aimer dans sa grande diversité, pour en apprécier la profondeur et la capacité de tout remettre en cause, il est nécessaire de conserver un esprit très critique, de ne pas craindre de sortir des sentiers battus. Il faut aussi accepter parfois de faire certains efforts, sachant que ceux-ci pourront être largement récompensés.