par claude lacaille.
Trouver des solutions africaines aux problèmes africains…Et des problèmes systémiques appellent des solutions systémiques! Alors que les économies du monde entier ne jurent aujourd’hui qu’à l’énergie fossile, courant ainsi vers un désastre climatique et environnemental, Godfrey Nzamujo créait, en 1985, le centre Songhaï, un lieu d’expérimentation où agroécologie et biomimétisme sont au cœur du projet. À l’heure où le CS3R se prépare pour une campagne sur les changements climatiques, cette initiative incarne un exemple de résilience inspirant!
Songhaï est parti d’un rêve, d’une intuition : créer des villes vertes où les populations puissent bien vivre en tirant partie de ce que chacun trouve sur son territoire, des matières premières, des ressources naturelles, du savoir-faire de sa population, de l’observation de la nature, en valorisant les ressources importantes considérées comme des déchets : les fientes de poule, les feuilles des arbres, les plastiques… etc. Songhaï propose à chacun de se retrousser les manches pour réduire la pauvreté, en fournissant des technologies et des méthodes qui améliorent la production tout en respectant l’environnement et la vie sociale. Le travail agricole est souvent dévalorisé. À Songhaï on vise à ce que les jeunes puissent choisir ce métier et acquérir des compétences et des qualifications nécessaires pour en bien vivre avec fierté et dignité.
Aussi parle-t-on d’entrepreneurs agricoles plutôt de que fermiers ou de paysans. « Une ferme est une entreprise en ce qu’elle doit mobiliser à des fins productives des forces de travail, un capital foncier, des savoir-faire tant dans la production, que la commercialisation ou la transformation des outils et de l’énergie. » Aussi l’accent est-il mis sur la formation et plus de 6000 étudiants et étudiantes ont pu en bénéficier depuis 30 ans et forment le Réseau National des Fermiers Songhaï pour faciliter le partage d’expériences et la circulation de l’information. La formation est holistique. On y apprend les technologies de l’agriculture, de la pisciculture et de l’élevage, on y donne une formation économique en gestion et en travail d’équipe et un enseignement éthique et philosophique. La pratique sur le terrain est au centre; il faut se confronter personnellement à la terre.
Le travail est très exigeant et irremplaçable, mais la terre est généreuse. Quand on parcourt les 20 hectares du Centre, on est plongé dans un monde rural verdoyant et fertile où la vie abonde absolument partout. L’approche est systémique et rien de se perd. Ici on élève des volailles : poulets, cailles, dindons, pintades dans des installations sobres et impeccables. Partout, des plantations d’arbres fruitiers, de palmiers, de cocotiers chargés lourdement de fruits; des jardins à perte de vue sur un sol jamais labouré et où l’humidité est maintenue par un recouvrement de feuilles de palmiers séchées. On prend à la terre seulement ce dont on a besoin et tout ce qui reste est remis à la terre pour sa régénération. L’eau provenant de sources et l’eau de pluie est soigneusement recueillie dans des canalisations qui parcourent le territoire : les jacinthes d’eau, plantes considérées envahissantes sur les lacs et rivières, sont ici mises à profit : elles purifient les eaux usées et permettent à l’eau des toilettes et des douches d’être recyclées de façon naturelle. Les moustiques sont absents : dans les canalisations, on élève des alevins qui se nourrissent des larves de moustiques. Quand ceux-ci ont atteint leur maturité, ils sont transférés dans les nombreux bassins de pisciculture. La production de poisson est impressionnante : les tilapias et poissons chats sont gavés avec des asticots de mouches. En effet, les mouches sont attirées dans des bacs de déchets de table broyés; elles vont y pondre et ces asticots, source très riche en protéines animales, une fois à maturité, sont donnés en pâture aux poissons. Les technologies les plus diverses expérimentées un peu partout dans le monde, sont appliquées à Songhaï avec une rigueur scientifique. Le Centre possède un laboratoire de recherche, une fonderie pour recycler le métal. La ferraille sert à fabriquer des machines et des outils agricoles adaptés aux besoins locaux. Un bio-digesteur transforme les matières fécales en gaz méthane qui sert au chauffage et à l’éclairage. Le soleil et le vent sont aussi mis à contribution pour une autosuffisance énergétique sans dommage à l’environnement.
On découvre la place des enzymes pour « booster » la vie, celle des micro-organismes pour la construction des sols en transformant l’énergie du soleil, celle des champignons, celle des différentes plantes en relation entre elles, la dynamique du système forestier et le jeu des insectes pour se neutraliser.
Non seulement le Centre Songhaï se consacre-t-il à la production, mais aussi à la transformation et à la commercialisation de produits importants pour la vie quotidienne des populations. Ce qui est visé est l’amélioration de la qualité de vie en créant une dynamique de développement endogène. L’expérience Songhaï est une puissante inspiration pour que l’Afrique puisse relever la tête et cesse d’exporter ses richesses à vil prix et d’importer sa pauvreté en s’endettant.
Godfrey Nzamujo, par ses compétences scientifiques en économie, en agronomie et en informatique, par sa sagesse et sa spiritualité dominicaine, dessine les lignes d’une alternative au développement d’une Afrique libre et indépendante. « Songhaï est un virus. Son objectif est d’infecter toute l’Afrique. Bien sûr, il ne s’agit pas d’inoculer une maladie, mais bien au contraire de la vie, de la résistance et de l’imagination et de proposer une nouvelle feuille de route, une boussole pour un autre style de développement[1]. »
[1] Citations tirées du livre : Songhaï : l’Afrique maintenant! Par Godfrey Nzamujo, Éd. Le Cerf 2016