Néolibéralisme, éducation et culture: quels liens?

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par xavier st-pierre


Le cours d’éducation financière, qui a pour objectif de faire de nos jeunes des consommateurs et consommatrices plus responsables, vient d’être rendu obligatoire au secondaire, aux dépens notamment de la formation en monde contemporain. Il parait légitime de s’interroger sur les motivations poursuivies par le système éducatif, et du sens que peut prendre la consommation responsable.


La question apparaît plutôt simplement; c’est quoi cette bête? Comment se présente concrètement le néolibéralisme dont lui sont attribués nombre de maux de nos sociétés contemporaines? Le néolibéralisme est apparu sous la plume d’universitaires dans les années 70 avant de s’introduire dans les gouvernements de pays comme les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cette théorie repose sur un rejet de l’État social pour promouvoir un État facilitateur de la croissance économique, et par conséquent une privatisation des institutions. Ce texte cherche néanmoins à aborder le néolibéralisme dans un sens plus large que le rôle de l’État et la privatisation. Pierre Dardot et Christian Laval, deux sociologues, nous précisent ce qui rend distinct le néolibéralisme du capitalisme; il s’agirait de la présence d’une « “logique de marché” hors de la sphère marchande »[1].

Le système d’idées qui relève du néolibéralisme met en scène une logique marchande qui renvoie à la norme de la concurrence. Cette norme, selon les économistes classiques, serait nécessaire au fonctionnement des échanges et de l’accumulation des profits. Elle se joue sur deux plans : d’une part par le prix, où la production est organisée afin d’être maximisée tout en dépensant moins que ses concurrents afin d’en retirer le plus de profit, et d’autre part par la création de nouveaux marchés, de produits et de méthodes de production différentes, bref par l’innovation. Alors que les marchés sont de plus en plus globaux, la concurrence est de plus en plus grande et les entreprises doivent être de plus en plus compétitives. Le néolibéralisme constitue l’extension de cette norme de la concurrence propre au marché vers ce qui ne relève pas de l’activité marchande.

L’institution scolaire constitue un exemple frappant de la colonisation du discours néolibéral et de sa logique dans les sphères non marchandes. Prenons comme exemple le cours Éducation financière[2]. Ce cours s’est imposé dans les classes sous la décision arbitraire du ministre de l’Éducation Sébastien Proulx qui, rappelons-le, a ignoré les préoccupations des enseignants et des enseignantes[3]. Si la logique néolibérale imprègne des champs hors de l’activité marchande, comment se manifeste-t-elle dans la quotidienneté de l’école?

Le concept de compétence, qui régit les apprentissages, vient du vocabulaire de l’entreprise, où il vise à mesurer l’employabilité sur le marché du travail[4]. La compétence suppose un résultat, celui de Prendre position sur un enjeu financier pour prendre exemple sur le cours d’éducation financière. Ainsi, l’objectif de l’école est l’augmentation des compétences employables pour assurer la compétitivité des élèves devant la concurrence employés et employées. L’élève est donc appelé à être compétent à faire cela ou ceci, sans égards aux moyens utilisés pour parvenir à ce résultat.

L’approche par compétence constitue le moteur de la concurrence dans l’école et agit comme processus d’individualisation – dans lequel l’élève devient l’unique responsable de ce qu’il est. Cette conception ignore, voir fait disparaître, les causes extérieures de ce que l’individu vit lui renvoyant toute la responsabilité. Cette responsabilisation de l’individu est renforcée par une thématique énoncée par le cours : intégrer le monde du travail. Une attention particulière est accordée aux moyens dont l’élève dispose pour la recherche d’emploi et sur ses responsabilités en tant que travailleur ou travailleuse. Ainsi, si il ou elle ne trouve pas d’emploi, cela tient de sa responsabilité. Or, le taux d’emploi n'est pas du ressort de l’individu, mais relève d’un niveau macroéconomique; de l’état économique régional, national et mondial, du secteur d’activité, de l’âge ou du sexe du travailleur ou de la travailleuse, etc. La cause de l’échec est individualisée : tout retombe sur les épaules de l’élève. Ajoutons à cela que le cours Monde contemporain[5], qui permet une compréhension plus globale de la réalité économique, sociale et politique, s’est fait damer le pion, se faisant amputer de moitié le nombre d’heures qui lui était voué, au profit de l’Éducation financière.

D’une manière plus large, on peut s’interroger sur la nature de la culture – en tant que système de valeurs et de normes encadrant des manières de penser et d’agir – qui fait l’objet d’un apprentissage implicite au sein de l’institution scolaire. Ne serait-ce pas une culture marchande? Inspirée de l’économie de marché, au sein de laquelle la connaissance ne se trouve valorisée que dans un contexte de rentabilité économique.. Ainsi, à la sortie de son parcours au secondaire, l’élève entre dans un salon de l’auto où les institutions collégiales et universitaires se targuent chacune d’être le véhicule vers le succès professionnel, présentant des programmes adaptés à « l’économie du savoir ».

En ce sens, le sociologue Luc Boltanski souligne que la connaissance, qui incarne la marchandise de cette économie, ne représente « qu’un "capital" de "compétences", de "savoir-faire" et de "savoir-être" appréciés à l'aune des profits que l'on peut en attendre »[6]. Cela étant dit, il importe de noter que l’avènement de la culture marchande propre à l’ère néolibérale ne signifie pas pour autant devoir qu’il faille faire preuve de nostalgie à l’égard de la culture savante et de se cloîtrer dans une formation culturelle élitiste. Ce constat amène plutôt à s’interroger sur le type de formation qui incarnerait un réel instrument de justice sociale et d’émancipation intellectuelle, et non celle qui convient à la croissance infinie et son système de production.




[1] DARDOT, Pierre et Christian LAVAL, « Néolibéralisme et subjectivation capitaliste », Cités, 2010. P. 37.

[2] Vous trouverez le programme complet sur le site internet du Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur : http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/PFEQ/prog_educ_financiere_FR.pdf

[3] FORTIER, Marco, « Le ministre Proulx tient au cours d’éducation financière », Le Devoir, mis à jour le 23 mars 2017, http://www.ledevoir.com/societe/education/494539/5e-secondaire-le-conseil-superieur-de-l-education-se-prononce-contre-le-cours-d-education-financiere.

[4] LAVAL, Christian, et al., « La nouvelle école capitaliste », La Découverte, Paris, [2011] 2012. P.15.

[5] Le temps alloué au cours obligatoire Monde contemporain fut amputé de moitié par l’instauration du cours Éducation financière devenue aussi obligatoire.

[6] Boltanski, Luc. «L’école déclasse». Le Monde, mis à jour le 8 septembre 2011. http://www.lemonde.fr/livres/article/2011/09/08/l-ecole-declasse_1569270_3260.html