par alice grinand
Ce texte est une invitation à remettre en question la pensée unique que le système capitaliste néolibéral a introduite dans nos imaginaires individuels et collectifs. En ligne de mire de cette critique de la consommation effrénée ? Les inégalités sociales et la destruction de notre planète.
Les changements climatiques ne sont plus à prouver. Comment ignorer les limites grandement franchies, lorsqu’on sait que la date à laquelle nous dépassons les ressources que la Terre peut produire en un an avance année après année? En 2017, nous avons commencé à vivre à crédit écologique le 2 août.... L’ensemble des États, ou presque, s’est engagé dans le sens d’un accord sur le climat lors de la COP21, engagement formalisé par l’Accord de Paris. Mais comment peut-on espérer résoudre le problème sans s’attaquer à la cause?
Le capitalisme, fondé sur une logique d’accumulation du capital, c’est-à-dire de croissance, s’est approprié la Terre et chaque élément qui la compose. Tout n’est plus que ressource monnayable destinée à servir la production: ressources minières, ressources pétrolières, ressources humaines... Même le temps est devenu de l’argent.
Et, tandis que nos PIB (Produit intérieur brut), c’est-à-dire la richesse qui est produite chaque année par tout le monde, continuent de croitre, les inégalités aussi atteignent des sommets. Ainsi, 82% des richesses créées en 2017 n’ont bénéficié qu’aux 1% les plus riches[1].
En d’autres termes, dans quelle logique une consommation proclamée illimitée et source de bien-être pour tou-te-spourrait-elle trouver sa place dans un monde aux ressources limitées et aux inégalités grandissantes? Car au-delà du mythe de la croissance qui serait corrélée à une meilleure qualité de vie, il faudrait également prendre en compte la dégradation de la qualité de vie générée par cette même poursuite de la croissance: pollution, stress, etc.
C’est sur ce constat que se construit le concept de décroissance, dont les idées paraissent néanmoins quelque peu inaudibles dans ce brouhaha néolibéral. Il n’y a pourtant pas si longtemps, la stabilité était une vertu, elle n’est désormais que stagnation.
La décroissance, contre le mythe de la croissance (verte)
Mais le système néolibéral a de nombreux tours de passe-passe dans son sac pour garantir sa propre survie, et c’est ainsi qu’il redore son blason en se dotant d’une image verte et durable. Pourtant, la croissance verte, en nous vantant les bienfaits du renouvelable ou du tournant numérique, ne nous dit par exemple rien des terres rares qui lui sont nécessaires. Ces métaux sont d’autant plus stratégiques que leur utilisation a infiltré notre quotidien: batteries, écran, téléphones, ordinateurs, etc. Une étude a évalué que le cobalt verrait sa production exploser (+1928%) dans un monde 100% voiture électrique. L’extraction de ces métaux détruit l’environnement, tout en nuisant les populations locales, lorsqu’elle n’attise pas des conflits, comme c’est le cas au Congo.
Car pour être pertinente, la réflexion décroissante doit prendre en compte tant les aspects intra que internationaux. En effet, à l’heure du «système monde» et de la mondialisation, les enjeux internationaux, qui nous paraissent souvent lointains, nous concernent néanmoins toutes et tous, que l’on soit l’hyperconsommateur/trice occidental-e ou le paysan ou la paysanne qui se fait déposséder de ses terres par une multinationale. Ainsi, remettre en question nos modes de consommation ici se répercutera là-bas, puisqu’il court-circuitera l’unique raison d’être des multinationales : réaliser du profit, en gavant l’hyperconsommateur/trice occidental-e tout en bafouant les droits humains de notre paysan-ne.
Redonner du sens aux activités humaines
Nier l’économie en tant que telle ne semble en effet pas très judicieux, l’économie pouvant être considérée comme l’ensemble des activités humaines génératrices de richesses. Reste à savoir ce que l’on définit comme une richesse. L’économie a ainsi le potentiel d’englober toutes les activités humaines, qu’elles soient cotées en Bourse ou non. N’est-il pas surprenant de voir que le trafic de drogues est parfois intégré dans le PIB, alors que le travail invisible – encore trop souvent destinées aux femmes – reste totalement invisible dans l’économie ?
Ainsi, répondre à «la croissance pour la croissance» par un «la décroissance pour la décroissance» n’aurait aucun sens. En effet, une société de croissance sans croissance, ce serait comme... un christianisme sans Christ! Le mouvement décroissant a ainsi plus comme vocation de déconstruire la pensée unique néolibérale et d’ouvrir de nouvelles perspectives que d’entreprendre une inversion instantanée de la courbe de croissance.
Ce qui peut sembler plus sensé, c’est de réfléchir au rôle que les politiques néolibérales ont accordé à l’Économie dans nos sociétés, et de voir comment elles ont pris le pas sur toute forme de volonté politique. Ainsi, prétendre que l’économie est une entité autonome, sur laquelle la société n’aurait aucune emprise n’est-il pas illusoire ? Ou bien nous faire croire que ce qui n’est pas monnayable ou rentable n’a pas raison d’être, tandis que tout ce qui est source de profit est valable ? Il semblerait que les États aient abandonné leurs citoyen-ne-s aux multinationales.
Défier le mythe de la croissance infinie, c’est finalement tenter de reprendre le pouvoir de décision que les grandes entreprises se sont octroyées et redonner du sens aux activités humaines. C’est repenser des économies qui seraient au service des sociétés, plutôt que de maintenir ces sociétés qu’on cherche à uniformiser au service de l’Économie.
Car entre un Trump ici, un Brexit là-bas, et une vague de droite populiste qui déferle un peu partout, n’est-ce pas justement, l’abandon de la politique à l’Économie qui est remise en question par les classes populaires? Celles à qui on n’a eu de cesse de vanter les mérites du néolibéralisme, mais qui en attendent toujours les bénéfices? Évidemment, une décroissance sans justice sociale perpétuera les inégalités exacerbées par le capitalisme néolibéral, celles-là mêmes qu’elle dénonce.
Il serait peut-être temps pour l’Homo Sapiens Sapiens d’ôter son costume d’Homo oeconomicus avant que les catastrophes climatiques ou l’insoutenabilité des inégalités ne le lui retirent de force...