par kristina monfette fortin
Automne 2018, le Salon du livre de Montréal bat son plein et les lecteurs de tout âge et de tout horizon littéraire sont au rendez-vous. La foule se presse à la Place Bonaventure impatiente de rencontrer les auteurs en dédicace. À observer cette effervescence, on pourrait poser le constat optimiste que la lecture semble encore être une activité bien vivante, et ce, malgré les statistiques alarmantes qui indiquent une baisse des ventes de livres au Québec. Pour plusieurs acteurs du milieu littéraire, les salons du livre ressemblent à ces réunions de famille où l’on revoit, une fois l’an, un oncle éloigné ou une petite-cousine. Les rencontres y sont chaleureuses et amicales. C’est exactement les sentiments qui m’habitent en croisant l’écrivaine, poète et auteure-compositrice-interprète, Pauline Michel.
Si elle prend part au Salon du livre de Montréal pour y présenter son plus récent livre, La quête de la fille disparue, écrit avec Mario Pelletier, notre conversation dévie plutôt sur sa participation à l’événement Livres comme l’air. Depuis l’an 2000, Amnistie internationale, l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) et le Centre québécois du P.E.N. international unissent leur voix à travers le projet Livres comme l’air afin de dénoncer la censure et la répression subies par des journalistes, écrivains ou poètes en raison de leurs idées. En signe de solidarité, dix écrivains québécois sont donc jumelés à dix écrivains emprisonnés à travers le monde. Les auteurs québécois sont invités à rendre hommage à leur homologue à l’aide d’une dédicace. Cette solidarité ne demeure pas symbolique puisque le projet Livres comme l’air s’accompagne de pétitions afin de faire pression pour la libération de ces auteurs incarcérés. De fait, le projet porte ses fruits, car une centaine d’écrivains ont recouvré la liberté depuis 2000, dont tout dernièrement l’écrivaine colombienne Angye Gaona qui avait été jumelée avec Denise Desautels en 2012.
Lorsqu’elle se confie sur son expérience avec Livres comme l’air, la compassion que manifeste Pauline Michel pour l’écrivaine iranienne et défenseure des droits de la personne Golrokh Ebrahimi Iraee se remarque immédiatement : « L’histoire de cette femme m’a bouleversée, comme celles, d’ailleurs de son mari et de tous ceux qui tentent de faire évoluer leur société à leurs risques et périls. Ils le paient de leur liberté, de leur vie. » Comme poète et auteure-compositrice-interprète, Michel se montre sensible aux sonorités des mots et c’est d’ailleurs la ressemblance entre le nom d’Iraee et de son pays, l’Iran, qui inspira à l’écrivaine le début chantant de sa dédicace « Iran, Iraee, Iran, Iraee… On pourrait croire entendre un chant, un leitmotiv, pour la liberté. Pourtant on vous a enfermée, condamnée à six de prison pour vous être prononcée contre la tradition… de la lapidation. »
Quand je lui demande si elle trouve que cette prise de parole pourrait être qualifiée de militante ou de féministe, elle me répond qu’« elle avait l’impression d’être " humaine " tout simplement. Une humaine qui souffre énormément de l’injustice et de la douleur des autres. » Michel croit que des événements comme Livres comme l’air « entrainent une conscientisation politique essentielle à l’action. On ne peut faire autrement qu’agir devant tant d’injustices, que de s’impliquer, dans la mesure du possible, pour changer les mœurs et les coutumes primitives qu’on associe trop souvent à l’identité d’un peuple. »
Légende : Le projet Livres comme l’air défend la liberté d’expression en usant de la solidarité littéraire.
Cette idée d’engagement est primordiale, car elle permet d’illustrer une facette méconnue du métier d’écrivain. En effet, Livres comme l’air est l’une des nombreuses activités dans lesquelles s’implique le Centre québécois du P.E.N. international. Division du P.E.N. fondé en 1921 à Londres, le P.E.N Québec réunit les auteurs professionnels (l’acronyme P.E.N. signifie poètes, essayistes et nouvellistes-romanciers) voulant s’engager à défendre la liberté d’expression et à décrier toute situation où les droits des auteurs seraient brimés. Au-delà de la création littéraire, l’auteur peut agir sur sa société par ses écrits. Le P.E.N. Québec met en lumière cette solidarité littéraire des écrivains qui prêtent leurs voix pour protéger celles que l’on tente de faire taire.
En 2015, le Comité Femmes du P.E.N Québec voit le jour à l’initiative de Germaine Beaulieu et d’Hélène Lépine. La mission du comité poursuit celle du Centre québécois, mais en se concentrant sur les enjeux de la parité, de l’équité et de reconnaissance des œuvres d’écrivaines du Québec et de l’international. Le Comité Femmes forme un exemple de solidarité entre les écrivaines d'ici et d'ailleurs en réfléchissant à la place que l'on accorde aux femmes dans le milieu littéraire, journalistique, dramaturgique, etc. La nécessité et la pertinence de ce comité apparaissent évidentes dans la mesure où le travail des écrivaines internationales s’expose souvent à la censure, mais mène parfois à l’emprisonnement, à l’exil ou à l’assassinat de celles-ci en raison des idées politiques ou des croyances religieuses véhiculées dans leurs écrits. Parmi les événements organisés par le Comité Femmes, soulignons « Pour mémoire - Lecture d’écrivaines du monde » où les membres offraient en lecture les textes de ces écrivains aux droits bafoués, façon de faire vivre les textes de ces auteures muselées.
À l’occasion de la Journée mondiale de la femme, le Comité Femmes et le Centre québécois du P.E.N. invitent à réfléchir sur la condition des écrivaines de partout dans le monde et incitent à assister à ces soirées de lecture afin de manifester sa solidarité à ces créatrices emprisonnées et à celles qui s’engagent à dénoncer cette situation en leur nom.