Vous avez-dit démocratie ?

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Par xavier St-Pierre, candidat à la MAÎTRISE, udem.

En cette année électorale, le mot «démocratie» a été utilisé à toutes les sauces par les candidat-e-s de tous les horizons politiques. Si tout le monde admet que nous vivons dans un régime dit «démocratique», qu’est-ce ce que signifie vraiment le sens de ce concept politique? Et surtout, sommes-nous si sûr de vivre dans une démocratie? Difficile à dire, si l’on considère les fondements du système électoral québécois et le poids des puissants dans la vie politique de notre pays.

ÉTYMOLOGIE ET DÉFINITION

La notion de démocratie est abondamment utilisée dans le discours politique. Telle une incantation, les gens espèrent qu’en la répétant, ils finiront par faire apparaitre la démocratie, par donner le pouvoir au peuple. Or, il ne suffit pas de nommer une chose par un concept pour que cette chose devienne une réalité, pour qu’elle se concrétise. Nous pouvons même nous demander si la répétition n’entraine pas davantage un oubli sémantique dans tout le brouhaha d’utilisations multiples du terme de démocratie, qui recouvrent différentes réalités et qui ne relève plus du sens premier du mot. Qui plus est, le constat de crise des démocraties occidentales est devenu courant et s’impose alors qu’au même moment, d’effervescents mouvements populaires s’organisent pour prendre leur pouvoir adoptant ainsi un mode de vie démocratique. Crise de la démocratie ou crise de la représentation ; de l’État ; de l’élection ; de la politique carriériste… ? Nous en venons finalement à nous demander qu’est-ce que la démocratie ?

Le mot démocratie prend racine dans la Grèce Antique, en effet, il s’agit d’un mot emprunté au grec démokratia. L’étymologie du mot démocratie, qui nous ramène à l’Antiquité, est importante puisque les intellectuels et les politiciens y ont encore recours pour former les conceptions modernes et contemporaines de la notion de démocratie[i].

Démokratia se décompose d’une part en dêmos, qui a trait au peuple, et d’autre part en kratos qui est relatif au pouvoir[ii]. Ainsi, la démocratie prise dans le sens le plus pure, par l’étymologie, désigne le pouvoir du peuple. Précisons, en accolant le mot démocratie à la notion de gouvernement, telle que le fut la célèbre phrase d’Abraham Lincoln, on arrive alors à la définition du gouvernement démocratique au sens de : « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple »[iii]. Le peuple dont il est question ici doit être pris dans son sens le plus large comme un ensemble qui forme une unité civique, soit un ensemble de citoyens et citoyennes. En prenant acte de ces considérations, un régime politique dit démocratique désignerait un mode d’organisation où ce serait le peuple :

1) qui aurait le pouvoir, soit la capacité d’agir sur les choses ;

2) qui serait au pouvoir, soit une position d’autorité pour agir ;

3) dont l’exercice du pouvoir serait en faveur du peuple, l’action étant orientée dans l’intérêt de l’ensemble de la population considérée comme unité civique.

Enfin, même si le mot démocratie est issu de la Grèce antique et qu’il fut repris par une tradition intellectuelle occidentale, l’Occident n’est pas le créateur de cette idée de « prise de décision collective par l’ensemble d’un groupe [qui] s’est manifestée à travers les âges et de nombreuses cultures »[iv].

DÉMOCRATIE REPRÉSENTATIVE

Théoriquement dans la démocratie, en restant fidèle à notre définition, le peuple a en premier lieu le pouvoir. Dans l’expression québécoise et canadienne de la démocratie, par l’élection, le peuple se désigne des représentants de son pouvoir. C’est pour cette raison que nous parlons de démocratie représentative, c’est-à-dire que le peuple serait au pouvoir par la représentation. La logique des élections qui lui confère le caractère démocratique est que peu importe qui est le citoyen, son vote, en principe, vaut la même chose que n’importe quel autre vote, dans un contexte de suffrage universel. L’élection – l’exercice de désignation des représentants – est l’occasion pour l’électeur ou l’électrice de prendre son pouvoir, octroyé par la démocratie, et de le déléguer à un représentant élu. Une critique fort intéressante de la démocratie représentative et de la délégation de son pouvoir a été émise par Jean-Jacques Rousseau. Le philosophe stipule que le peuple, par l’élection de représentants, se croit libre, alors que dans les faits il ne l’est que durant la période électorale[v]. Le philosophe Cornelius Castoriadis résume ainsi la pensée de Rousseau :

« Les Anglais croient qu’ils sont libres parce qu’ils élisent des représentants tous les cinq ans [à la chambre des communes], mais ils sont libres un jour pendant cinq ans, le jour de l’élection, c’est tout. Non pas que l’élection soit pipée, non pas qu’on triche dans les urnes. Elle est pipée parce que les options sont définies d’avance. Personne n’a demandé au peuple sur quoi il veut voter. »[vi]

Après coup, ce n’est plus le peuple qui aura le pouvoir, mais de prétendues extensions de sa volonté qui siégeront dans les chambres législatives. De ce fait, l’élection pourrait se nommer, de manière plus transparente : période de délégation du pouvoir. Qui plus est, cette délégation par l’élection comporte son lot d’inégalités comme nous le verrons dans l’expression contemporaine de ce que nous appelons démocratie.

COMMENT ÉLIT-ON ? EST-CE LE GOUVERNEMENT DU PEUPLE ?

DISTORSION DU VOTE AU CANADA ET AU QUÉBEC.

Dans le système électoral canadien et québécois, on peut constater une distorsion du vote, puisque le nombre de député-e-s représentant chacun des partis au Parlement ne correspond pas au nombre de voix qu’a obtenu chacun des partis, déformant ainsi l’expression des personnes qui ont voté. Par exemple, aux élections fédérales canadiennes de 2015, le Parti Libéral du Canada a récolté 39,5 % des votes et s’est retrouvé avec 54,4 % des députés, alors que le Parti Vert du Canada a récolté 3,5 % des votes, mais seulement 0,32 % des députés de la Chambre des communes représente les Verts[vii]. Rappelez-vous que l’élection est la période de transmission du pouvoir du citoyen ou de la citoyenne vers le candidat-e par l’entremise du vote. Maintenant, considérant que dans le système électoral actuel, le nombre de députés ne correspond pas au nombre de votes obtenus : est-ce que ce le gouvernement ainsi formé peut être considéré démocratique ?

QUI EST AU POUVOIR? QUI SE FAIT ÉLIRE?

ÉLITES CULTURELLES ET ÉCONOMIQUES

La question de la représentation -et de l’égalité des chances- pose également problème au regard du processus de sélection élitiste par lequel des individus qui se présentent à des postes de haute responsabilité dans la fonction publique, accèdent au pouvoir. Le cas français est hautement éloquent alors que la démocratie représentative couplé à un système d’éducation élitiste résulte d’une oligarchie dont les contours sont bien définis. Le système d’enseignement supérieur français se divise, en simplifiant, en une université publique et un enseignement de niveau universitaire qui se déroule dans les Grande Écoles. L’intégration de ces grandes écoles se fait par concours, qui sont des «épreuves éliminatoires d’entrée dans les études supérieures»[viii]. Les principales Grandes Écoles dont il est question sont l’École Nationale d’Administration (ENA), l’École Polytechnique, École Normale Supérieure (ENS), l’École des Hautes Études Commerciales (HEC) et Sciences Po. Si vous voulez faire partie des diplômé-e-s de ces écoles, attention : ce n’est pas donné à tout le monde! Mais si vous avez des ambitions de dirigeants d’entreprise ou si vous envisagez une grande carrière politique, vous allez être déçu-e-s de ne pas en faire partie. En effet, « seule une minorité d’étudiants entre […] [dans les Grandes Écoles qui] donnent accès aux positions de pouvoir, notamment aux positions administratives, économiques et politiques »[ix] précisait la sociologue Monique de Saint-Martin. D’ailleurs, les présidents de la 5e république sont tous passés par le concours et les grandes écoles[x]. Alors, est-ce vraiment le gouvernement du peuple ? Puis, sur l’autre rive de l’Atlantique, le Congrès des États-Unis, branche législative du gouvernement des États-Unis divisée en une chambre haute et une chambre basse, compte 535 élus. Pour l’année 2015, dans la chambre haute, la moitié des sénateurs avait une rémunération dépassant annuellement les 3 millions de dollars (US), tandis que 50% des membres de la chambre basse atteignait, eux, une rémunération de 900 000 dollars (US)[xi]. Pendant ce temps, 50% de la population américaine avait un revenu annuel inférieur à 56 516 dollars(US).[xii] Alors, qui a le pouvoir?

COMMENT GOUVERNE-T-ON ? PAR ET POUR LE PEUPLE?

LES LOBBIES

Un lobby est un groupe d’intérêt qui œuvre à influencer les personnes qui sont au pouvoir, d’où l’usage de l’expression parfois de groupe de pression. Le terme péjoratif de lobby tient son origine dans l’Angleterre du XIXe siècle[xiii], désignant alors « les couloirs ou vestibules menant aux assemblées parlementaires, ces antichambres du pouvoir où les représentants d'intérêt pouvaient rencontrer les élus »[xiv]. Lobby du pétrole, lobby des armes, lobby pharmaceutique font pratiquement partie du langage courant de l’actualité politique et des mouvements contestataires, et ce, avec raison parce que leur nombre est croissant. En effet, au Québec le nombre de lobbyistes actifs a crû rapidement depuis 2002-2003, passants de 282 à 13 129 en 2017-2018[xv]. L’activité de ces groupes de pressions est d’emblée non-démocratique puisque son objectif est de promouvoir uniquement l’intérêt particulier de son groupe sans considération des intérêts des autres personnes composant le peuple. L’activité des lobbys vient donc renforcer le déséquilibre démocratique au profit d’intérêts privés hors de la sphère du bien-commun.

La démocratie libérale représentative nous dit le lendemain des élections que le peuple s’est prononcé et que les vainqueurs des élections se réclament représentant de l’ensemble des citoyens. « Je suis le Président de tous les français »[xvi] disait par exemple Emmanuel Macron dans son discours de victoire. Pourtant, dans les faits, les mesures du Président français ont surtout eu un effet positif sur les gens les plus aisés de la France alors que les autres, soit « 95% des ménages devraient bénéficier de seulement 58% des mesures économiques, sociales et fiscales voulues »[xvii]. En ce sens, Justin Trudeau, disait aussi « vous [les citoyens canadiens] serez toujours au cœur du gouvernement que nous allons former »[xviii] à la suite de sa victoire en 2015. Rappelons que la Cour d’appel fédérale a soutenu au mois d’août 2018 que le gouvernement Trudeau « a manqué à ses obligations de consulter adéquatement les communautés autochtones avant d'approuver le projet d'agrandissement de l'oléoduc Trans Mountain »[xix].

Que penser alors de l’argument qu’il faille respecter la volonté démocratique, puisque c’est le peuple qui aurait décidé ? Un argument qui agit comme légitimateur ultime de toutes les décisions parce que les députés élus, sont investis du pouvoir de l’ensemble des citoyens, délégué par le vote d’une partie des citoyens. Or, pendant les négociations de l’ALÉNA, c’est précisément le non-élu Raymond Bachand qui était le négociateur en chef pour le Québec, il avait bel et bien été désigné par le gouvernement[xx]. En 2014, était-ce la volonté du peuple d’avoir moins de services dans les écoles et de mettre davantage de pressions sur le personnel du système d’éducation[xxi].

Alors que l’élite au pouvoir reproche à ses détracteurs de faire preuve de cynisme, nous rétorquons qu’il faut jeter un regard lucide sur le fonctionnement de nos institutions, regard qui qui nous pousse à dénoncer l’imposture démocratique libérale de notre époque. Constatons alors, que la démocratie de fait n’est pas évidente à saisir : elle se cacherait en fait derrière les masques de la démocratie de paroles.



[i] « Bien sûr, une utilisation dogmatique de l’étymologie pourrait nous faire oublier que les mots évoluent et que leur signification change, mais un survol des définitions plus modernes du mot « démocratie » révèle que les penseurs politiques sont restés très attachés à la signification originelle du mot. » Francis DUPUIS DÉRI, «Qu’est-ce que la démocratie ?», Horizons philosophiques, vol. 5, no.1, 1994, p.88. https://www.erudit.org/fr/revues/hphi/1994-v5-n1-hphi3180/800967ar.pdf

[iii] Francis DUPUIS DÉRI, «Qu’est-ce que la démocratie ?», Horizons philosophiques, vol. 5, no.1, 1994, p.84–95

[iv] Jonathan DURAND FOLCO, À nous la ville : traité de municipalisme, Écosociété, Montréal, 2017, p.96.

[v] Jean Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, [1762], Garnier-Flammarion, Paris, 1966.

[vi] Cornélius CASTORIADIS, «Stopper la montée de l’insignifiance», Le Monde Diplomatique, août 1998, no. 533, p. 22. En ligne :

https://www.mondediplomatique.fr/1998/08/CASTORIADIS/3964.

[ix] Monique DE SAINT MARTIN, «Les recherches sociologiques sur les grandes écoles : de
la reproduction à la recherche de justice», Éducation et sociétés, vol.1, no. 21, 2008, p. 95-103.

[x] Annabelle ALLOUCH, «Les étudiants livrés au marché de l'anxiété», Le Monde diplomatique, avril 2018, no.769. En ligne : https://www.cairn.info/magazine-le-monde-diplomatique-2018-4-page-10.htm.

[xiv] Xavier MOLÉNAT, «Lobbies et groupes de pression», Sciences humaines, vol. 177, no. 12, 2006. En ligne : https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2006-12-page-8.htm.

[xv] Commissaire au lobbyisme du Québec, «Rapport d’activité 2017-2018», En ligne 3 : https://www.commissairelobby.qc.ca/fileadmin/Centre_de_documentation/Documentation_institutionnelle/CLQ_RAPPORT_2017-2018__version_finale_.pdf.

[xxi]Eve Lyne COUTURIER, Phillipe HURTEAU, Conditions de travail et compressions budgétaires. Portrait de la situation dans les écoles du Québec, IRIS, Montréal, 2018. https://cdn.irisrecherche.qc.ca/uploads/publication/file/IRIS_etude_condition_de_travail_education_aout2018_WEB.pdf

CRÉDIT : John Curnutt – Flickr.com