Daniel landry, vice-président du conseil d'administration du cs3r
L’inaction des gouvernements en matière climatique est célèbre. De Rio (1992) à Paris (2015), en passant par Kyoto (1997) et Copenhague (2009), les objectifs de réduction de gaz à effet de serre (GES) ont été, dans le meilleur des cas, une intention lointaine et symbolique. Pire, des gouvernements – incluant celui du Canada – instrumentalisent la question climatique à des fins de relations publiques et de réélection. Dans ce contexte, attendre que les gouvernements prennent les choses en main semble témoigner d’une foi bien candide.
Or, les réformes nécessaires exigent des changements de mentalités bien difficiles à opérer en quelques décennies, et les hautes sphères décisionnelles s’adaptent trop lentement par rapport à l’urgence du dossier climatique. Peut-être les gouvernements peuvent-ils se révéler de bons alliés, mais il est probable qu’ils n’agiront que s’ils sont dans l’obligation de le faire. Il en est de même pour les entreprises.
C’est ainsi que le rôle de la société civile s’avère crucial. Évidemment, on pense aux choix personnels qui visent à réduire l’empreinte écologique (transport durable, mode de vie zéro déchet, régime à base de plantes, achat local). On pense aussi aux mouvements de plus en plus nombreux, et de plus en plus vocaux, qui
prennent d’assaut les rues pour réclamer des actions concrètes comme ce fut le cas le 27 septembre 2019 à l’occasion de la journée de grève pour le climat. Depuis plusieurs années, de plus en plus de groupes s’invitent dans la rue pour clamer haut et fort l’urgence d’agir : Greenpeace, Eau Secours, Coule pas chez nous, le Pacte pour la transition, la Planète s’invite, Fridays for Future et bien d’autres.
Dans ce contexte, attendre que les gouvernements prennent les choses en main semble témoigner d’une foi bien candide.
Depuis un peu plus de 30 ans, toutes ces actions ont convaincu que les questions environnementales ne se limitaient pas aux questions physiques et climatiques, mais qu’elles comprenaient d’énormes composantes sociales, économiques et politiques. C’est ainsi que le concept de « justice climatique » s’est forgé, incitant des citoyens à poursuivre des gouvernements ou des entreprises pour leur irresponsabilité en la matière. S’inspirant des grandes poursuites contre les industries du tabac ou des armes à feu, les luttes pour la justice climatique visent à cibler ceux et celles qui ont le pouvoir d’agir mais refusent de le faire. En bref, exiger la justice climatique consiste à défendre la position selon laquelle les plus grandes victimes des dérèglements climatiques en sont souvent les moins responsables (les femmes, les enfants, les populations plus vulnérables et les pays les plus pauvres). En conséquence, ce sont les individus et les États les plus privilégiés et les plus riches qui doivent assumer le gros des responsabilités dans la lutte à venir.
En conséquence, ce sont les individus et les États les plus privilégiés et les plus riches qui doivent assumer le gros des responsabilités dans la lutte à venir.
Dans un article publié récemment, le magazine Nature estimait à plus de 1300 le nombre de plaintes liées au climat, entre 2006 et 2019, et ce, pour une trentaine de pays. Aux Pays-Bas, le gouvernement a même été forcé par les tribunaux de se doter d’un plan concret pour atteindre ses cibles de réduction de GES d’ici 2020. Au Canada, un organisme d’éducation à l’environnement, ENvironnement JEUnesse, a annoncé en 2018 vouloir poursuivre le gouvernement du Canada « au nom de la jeunesse et des générations futures » pour son inaction. L’organisme juge que les conséquences de cette inertie sont lourdes et contreviennent aux chartes des droits et libertés québécoise et canadienne qui doivent garantir le droit à la vie, le droit de vivre dans un environnement sain et le droit à l’égalité. En juillet 2019, la Cour supérieure du Québec a refusé l’autorisation d’exercer une action collective. ENvironnement JEUnesse compte toutefois aller en appel de la décision.
Pris dans son ensemble, le mouvement écologiste est arrivé à une nouvelle phase. Après quelques décennies d’éducation, de sensibilisation et d’éveil, le temps est venu de forcer la main aux décideurs et de déranger davantage les structures traditionnelles du pouvoir. La période des bonnes intentions doit laisser place à celle des actions concrètes. Aucun argument ne tient la route pour défendre les énergies d’un autre siècle ou les privilèges d’une poignée de pollueurs inconscients. Les poursuites en justice peuvent alors servir de leviers indispensables pour ébranler les gouvernements et entreprises et pour s’assurer d’effectuer un virage rapide, dès la décennie 2020.
Aucun argument ne tient la route pour défendre les énergies d’un autre siècle ou les privilèges d’une poignée de pollueurs inconscients.