par Florie Dumas-Kemp
coordonnatrice des communications (cs3r)
Magazine Le Point, Novembre 2020
Entrevue
Selon une estimation du Collectif Soignons la justice sociale, au Québec ce sont des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes qui n’ont pas accès à la Régie d’assurance maladie du Québec (RAMQ). Le Collectif Soignons la justice sociale est composé de diverses personnes qui ont à coeur les enjeux de justice sociale en santé. Ses membres militent pour améliorer l’accès aux soins de santé et services sociaux, mais aussi pour la dignité dans les soins de santé. Nous avons interviewé Florence Tiffou, enseignante et membre du collectif, pour nous parler de leur campagne « RAMQ pour tout le monde » ainsi que des injustices migratoires, sociales et raciales ancrées dans notre propre système de santé.
Les non-admissibles au régime « universel » des soins
En discutant avec Florence Tiffou, elle me fait remarquer comment cette valeur québécoise et canadienne associée aux soins universels est un mythe. Parmi les personnes non-couvertes par la RAMQ, il y a une panoplie de groupes. On retrouve les personnes qui ont obtenu une résidence permanente mais qui doivent attendre trois mois avant d’êtres couvertes. Il y a aussi les citoyen·ne·s canadien·ne·s revenant au Québec après une absence de plus de 183 jours qui perdent leur admissibilité à la RAMQ pendant une certaine période. Il y a les personnes au statut précaire d’immigration qui n’ont pas accès à la RAMQ comme : les personnes en attente d’une réponse pour un statut (pour des motifs humanitaires, d’un statut de réfugié·e), les travailleuses et travailleurs temporaires étrangers (comme les travailleurs et travailleuses agricoles), les personnes au statut temporaire (comme un permis d’étude ou de travail) qui passeraient de temps plein à temps partiel. Également, il y a les personnes qui résident sur le territoire mais qui n’ont plus de permis ou de papier, c’est-à-dire les personnes sans statut. Finalement, il y a aussi toutes les personnes qui ne peuvent pas prouver qu’elles sont éligibles à la RAMQ (qui n’ont pas de certificat de naissance, par exemple), comme plusieurs personnes en situation d’itinérance.
Le Collectif Soignons la justice sociale a lancé la campagne #RAMQPourTLM en avril 2020 et multiplient les actions depuis : lettre ouverte, éducation populaire, manifestations et affichage.
Crédit photo : Ion Etxebarria / Solidarité sans frontière
RAMQ pour tout le monde!
La liste est longue et reflète bien les dédales bureaucratiques et discriminatoires de notre système de santé. Une personne sans carte soleil qui se fait soigner au Québec se fera « facturer des frais aberrants », nous rappelle Florence Tiffou. Cet obstacle financier brime le droit à la santé de milliers de personnes qui n’iront pas à l’hôpital « parce qu’elles ont peur de se faire facturer des milliers de dollars ». Pour les personnes au statut migratoire précaire, ou sans statut, s’ajoute la crainte d’être déportée, détenue ou dénoncée aux autorités frontalières. « Sans soins, des petits problèmes de santé peuvent s’aggraver. », souligne Florence. Il y a des personnes sans statut qui ont perdu la vue, n’ayant pas pu se faire soigner dans ce contexte d’injustice.
C’est pourquoi le collectif milite depuis quelques années pour une réelle accessibilité universelle des soins. Avec l’arrivée de la pandémie en mars, le collectif a décidé de lancer une campagne large sur cette question : « RAMQ pour tout le monde! ».
Le cas par cas : ce n’est pas « humain »
En avril 2020, le gouvernement Legault a annoncé que les soins de santé liées à la COVID-19 seraient temporairement couverts pour tout le monde, quel que soit leur statut. Le collectif a jugé injuste et inefficace cette décision temporaire et limitée à la COVID-19. Injuste, car les soins de santé devraient être accessibles à toutes les personnes : qu’elles soient citoyennes ou non, qu’elles aient la COVID ou non, qu’elles soient des « anges gardiens » ou non, qu’elles soient des enfants ou des adultes sans statut. Inefficace pour contrer la pandémie, car les obstacles aux soins demeurent pour les personnes migrantes ou sans statut. Florence nous montre l’absurdité déshumanisante d’une accessibilité à deux vitesses par cet exemple fictif : « Une personne sans statut ou sans accès à la RAMQ qui se présente à l’hôpital pour une grosse toux, reçoit un test COVID et des soins pour sa toux. Si on lui diagnostique une pneumonie et que le test de COVID est négatif, ses soins ne seront pas couverts. ». Pour le collectif, avec une telle mesure, on envoie le message que « si tes problèmes de santé vont affecter les « vrais québécois et québécoises », là on va couvrir tes soins, mais si c’est pour une pneumonie de laquelle tu pourrais mourir, on ne couvre pas. On ne donne aucune valeur à la personne que tu es. ».
Le Collectif Soignons la justice sociale interpelle le gouvernement provincial depuis avril 2020 sur cette question. Iels n’ont reçu qu’une réponse de la part du gouvernement leur disant qu’ils « feraient du cas par cas de façon humaine. ». Mais pour le collectif « traiter au cas par cas, ce n’est pas humain. Tout le monde a droit à des soins de santé. Ce n’est pas une question de qui tu es, de ta situation particulière. Et offrir une partie des soins de santé seulement pendant la pandémie, c’est pas humain. » nous rappelle Florence Tiffou.
Vous pouvez signer la lettre endossée par plus de 235 signataires, dont le Comité de Solidarité/Trois-Rivières sur le site soignonslajusticesociale.ca