Par Manuel Salamanca Cardona
Membre du Centre des travailleurs et travailleuses immigrant·e·s (CTI)
Magazine Le Point, Novembre 2020
Une histoire à revisiter pour lutter contre le racisme systémique
Les temps de pandémie qui nous vivons maintenant, nous montrent plus que jamais, la relation étroite entre la précarité d’emploi et le statut d’immigration. Cependant, cette relation n’est pas neuve. Elle a été produite historiquement. Dans le cas des travailleurs agricoles saisonniers du Québec, cette production est bien observable avec le projet de loi 8 de 2014 qui a presque éradiqué les possibilités de syndicalisation des travailleuses et travailleurs migrants dans le secteur agricole. Si déjà leur condition de déportabilité définie par le gouvernement fédéral était un facteur qui a limité leur capacité à s’organiser et à se syndiquer, le projet de loi 8 provincial, maintenant les empêche totalement de s’organiser pour améliorer leurs conditions de travail.
Crédit photo : Cédric Martin
L’Assemblée nationale a adopté la loi 8 sous le gouvernement du Parti libéral en 2014. Cette loi a permis aux employeurs de se soustraire à l’application de la décision de la Cour supérieure du Québec (datant de mars 2013) selon laquelle les travailleurs et travailleuses agricoles avaient le même droit que tout·e autre travailleur·euse de se syndiquer. Pour le dire franchement, la loi 8 exclut les travailleurs et travailleuses agricoles des petites fermes de tous les articles du Code du travail de Québec qui font référence aux pouvoirs d’une unité de négociation collective, ce qui inclut également le droit de grève. Les groupes les plus affectés par cette mesure sont les travailleuses et travailleurs saisonniers venant du Mexique et du Guatemala. Il s’agit de personnes qui arrivent pour travailler dans des conditions qui ne sont pas habituellement tolérées par les locaux.
Pour le dire franchement, la loi 8 exclut les travailleurs et travailleuses agricoles des petites fermes de tous les articles du Code du travail de Québec qui font référence aux pouvoirs d’une unité de négociation collective, ce qui inclut également le droit de grève.
La naturalisation de la précarité du travail de ces travailleurs de la part des autorités et producteurs agricoles est bien observable dans les discussions à l’Assemblée nationale de 2014. Dans ce moment l’alliance entre le gouvernement libéral avec les différentes associations de producteurs agricoles (UPA, APMQ et APFFQ) soulignait que la production maraîchère était « très vulnérable » aux marchés et à la concurrence de l’Ontario et des États-Unis. Aussi, les producteurs et le gouvernement considéraient le besoin de maintenir un régime de travail exceptionnel (lire sans syndicats) comme « vital » pour maintenir actif le secteur agricole et nourrir la société québécoise. Leurs argumentations pour soutenir la loi 8 visaient à mettre la responsabilité de maintenir un système économique et productif en crise sur les dos des travailleurs et travailleuses migrantes. Ce qui veut dire, maintenir un régime de relations de travail basé principalement sur la main-d’œuvre « non libre » et vulnérable des travailleurs et travailleuses migrantes. En d’autres termes, il était préférable de ne pas toucher les conditions actuelles d’exploitation et d’abus. Le corollaire : fonder le bien commun québécois sur la violation des droits fondamentaux de travail d’un groupe de personnes étrangères.
L’institutionnalisation de cette logique dans une loi nous montre à quel point la société québécoise est structurée sur des rapports de domination néocoloniaux. Ces rapports deviennent possibles en combinaison avec politiques migratoires fédérales abusives (par exemple, permis de travail fermés et dépendance envers l’employeur) et d’accords bilatéraux (avec le Mexique et Guatemala par exemple) qui encadrent la rédaction des contrats des travailleurs et travailleuses temporaires de manières qui les empêchent de défendre leurs droits en territoire canadien.
Finalement, la loi 8 a été approuvée en octobre 2014. Le contournement d’un jugement de la Cour supérieure de Québec et la combinaison de cette action avec l’existence de politiques migratoires abusives démontrent l’existence d’un racisme institutionnel et systémique contre les travailleuses et travailleurs migrants. C’est triste à dire, mais cette loi est la preuve claire de l’existence d’un racisme systémique dans notre société, un racisme masqué sous les arguments du bien-être commun d’une majorité sociale privilégiée.