Le 7 août dernier, Gustavo Petro, ex-guérillero et ancien maire de Bogota, a prêté serment devant des milliers de personnes dans la capitale du pays pour devenir le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie. Au cours d’une cérémonie chargée de symbolisme, l’homme politique a fait déposer à ses côtés l’épée de Simon Bolivar, célèbre personnage historique ayant libéré le pays du joug espagnol en 1819. Le geste n’est pas anodin, d’abord, parce que la relique a réellement servi à la défaite des Espagnols, mais aussi parce qu’au moment où Petro avait pris le maquis, en 1974, l’objet avait été dérobé d’un musée par ses camarades voulant marquer un coup d’éclat politique à l’encontre des «exploiteurs du peuple».
«Cette épée représente trop pour nous, a-t-il affirmé avec conviction lors de son allocution, et je veux qu’elle ne soit plus jamais enterrée [...], qu’elle ne soit rengainée – comme l’a dit Bolivar – que lorsque la justice régnera au pays.» À l’aube de la formation d’un nouveau gouvernement issu des mobilisations sociales qui ont eu cours durant la pandémie, ces mots résonnent haut et fort dans le but de bâtir un pays par tous et pour tous. Dans cette même veine, Francia Marquez, Afro-Colombienne et figure de proue de la défense des droits humains et de l’environnement, devient la vice-présidente du pays. Petite révolution dans ce pays déchiré par les inégalités sociales et la guerre. Le programme de Petro et Marquez est ambitieux. En effet, le nouveau gouvernement souhaite mettre fin à la spirale de violence dans laquelle la Colombie est plongée depuis 60 ans. Il veut également établir un «dialogue social» entre les régions du pays afin de faire entendre toutes les voix. La justice environnementale et la réduction drastique du fossé entre les riches et les pauvres, au moyen d’une réforme fiscale «solidaire», sont également à l’agenda. Et si ces engagements suscitent beaucoup d’espoir pour le pays, il en va de même pour tous les milieux progressistes latino-américains. Petro et Marquez débutent ainsi du bon pied leur mandat avec une majorité claire au sénat et en chambre. Seul l’avenir saura nous dire si l’administration Petro mènera ses propositions à terme et s’il parviendra à neutraliser la résistance conservatrice.
Cette possible dynamique d’opposition n’est pas sans rappeler ce que l’on observe au Chili depuis mars dernier. Souvenons-nous du gouvernement chilien de Gabriel Boric qui, à l’instar de Petro en Colombie aujourd’hui, avait suscité une soif de changement dans un contexte d’assemblée constituante, à majorité progressiste et à vocation hautement démocratique avec sa composition paritaire et l’inclusion des élus autochtones. Issue des luttes sociales de 2019, cette assemblée avait été appuyée à 78%, en octobre 2020, par la population dans un référendum invitant à changer la Constitution héritée de la dictature pinochetiste. Ainsi, en juillet dernier, un texte constitutionnel a pu être présenté au gouvernement. Il sera soumis à approbation populaire au moyen d’un référendum ce dimanche 4 septembre.
La nouvelle Constitution contient 388 articles et des propositions audacieuses, concernant notamment la «démocratie paritaire», soit la mise en place des conditions favorables à l’égalité du genre, et ce, sur tous les postes de représentation populaire. Aussi, il répondra aux demandes historiques des peuples autochtones en passant d’une conception unitaire à un État plutôt plurinational. L’engagement de l’État dans la lutte contre les changements climatiques et envers la préservation de la nature (eau, milieux humides, glaciers) y est également présent. Tout un chantier politique qui, s’il a finalement pu se mettre en branle, a aussi rencontré une vive résistance par les milieux les plus conservateurs.
En effet, ces derniers n’ont pas hésité à répandre de la désinformation sur divers sujets et ainsi miner les initiatives de la majorité progressiste de l’assemblée. D’autant plus que les débats n’ont pas toujours été harmonieux. Ces éléments ont laissé l’impression, auprès de la population, d’un organe politique marqué par la polarisation. Du côté de l’administration Boric, il y a eu également du repositionnement face à ses premiers engagements: sans majorité au parlement, les négociations sont de mise et la portée de réformes revue à la baisse. Selon les sondages, les aléas de la politique ont effrité l’appui au mouvement Apruebo («J’approuve») en faveur du changement de constitution, passant, entre janvier et août, de 47% à 37,8%. Les indécis (15,5%) pourraient, par contre, faire la différence devant le refus de la nouvelle constitution (46,7%).
En attendant le résultat de la consultation et de voir comment s’en tirera le gouvernement de Petro, il est pertinent de souligner que les changements sociaux peuvent se faire en démocratie, et en ayant les organisations sociales et populaires comme protagonistes.