texte par jean-marc lord
paru dans le nouvelliste
du 30 mai 2022
Avec l’invasion illégale de l’Ukraine par l’armée russe, nombreux sont ceux qui estiment que le danger d’une guerre nucléaire n’a jamais été si grand depuis la crise des missiles de Cuba en 1962. Pour ajouter aux craintes, rappelons que juste avant la guerre, le Bulletin of the Atomic Scientists de l'université de Chicago, avait établi que son horloge de l’apocalypse n’était qu’à 100 secondes avant minuit (minuit étant la fin du monde). Cela est dû à l’incapacité de l’humanité à faire face au réchauffement climatique de même qu’au danger nucléaire.
En 2021, le Stockholm International Peace Research institute (SIPRI) estimait que les 9 pays disposant de l’arme nucléaire cumulent 13 131 de ces bombes. Les États-Unis et la Russie à eux seuls, en ont près de 12 000. De quoi détruire l’humanité en entier environ 15 à 20 fois plutôt qu’une. Au cours des 20 dernières années, trois traités majeurs de limitation ou de contrôle des armes nucléaires ont été jetés à la poubelle par les États-Unis et la Russie. Pour calmer les inquiétudes, les détenteurs de « la bombe » affirment que leur possession est une garantie de paix puisqu’un pays sait qu’il sera lui aussi …rayé de la carte s’il attaque. C’est la doctrine de la destruction mutuelle assurée.
Mais si cette doctrine suffit à rassurer les Biden, Macron et Trudeau, c’est loin d’être le cas pour d’autres. Le domaine de la stratégie militaire et géopolitique est loin d’être une science exacte. Et miser sur l’équilibre mental des dirigeants pour garantir qu’ils n’oseront pas appuyer sur le bouton de la destruction de la planète demeure risqué. Il faut aussi tenir compte des accidents ou des erreurs humaines et informatiques. Dans son livre Command and Control: Nuclear Weapons, the Damascus Accident, and the Illusion of Safety, paru en 2013, Eric Schlosser documente au moins 1200 accidents impliquant des armes nucléaires par l’armée des États-Unis, seulement entre 1950 et 1968. Si aucun de ces accidents n’a encore provoqué à ce jour l’explosion de la charge nucléaire des engins concernés, il fait peu de doutes que la répétition de telles erreurs causera, un jour ou l’autre, l’irréparable.
Ce qui inquiète dans le conflit actuel, c’est qu’on assiste davantage à une escalade militaire qu’à une recherche sérieuse de solutions. La propagande s’emballe et les positions se braquent. Pendant que les Russes poursuivent leur offensive, les États-Unis et les pays membres de l’OTAN, dont le Canada, fournissent des milliards en armements aux Ukrainiens. Quelle étincelle à venir fera encore grimper la tension d’un autre cran ? Dans ce contexte, le dialogue constructif est difficile à établir, les erreurs se multiplient et le risque nucléaire grandit.
Les conséquences de l’utilisation (accidentelle ou délibérée) de l’arme nucléaire sont apocalyptiques. Alex Wallerstein, un historien des sciences et des armes nucléaires au Stevens Institute of Technology (New-Jersey), a mis en ligne un site WEB (https://nuclearsecrecy.com/nukemap) qui simule les pertes de vie et les destructions causées par une explosion nucléaire. On y apprend qu’une bombe d’une puissance de 15 mégatonnes (mt) lancée sur Montréal la détruirait entièrement, causerait 1,4 million de morts et près d’un million de blessés. La moitié de la surface de la ville serait entièrement rasée au sol.
Heureusement, tout un mouvement mondial s’active depuis des décennies pour interdire les armes nucléaires et favoriser la coopération plutôt que la confrontation. À ce jour, 86 pays ont signé le Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN) qui a vu le jour en 2017 sous l’égide de l’ONU. Toutefois, aucun des pays détenteurs de « la bombe », ni aucun des membres de l’OTAN ne l’a signé. Ce qui inclut le Canada, malgré un sondage qui dit que les Canadien.ne.s sont à 74% favorables à sa ratification. La pétition e-3828 en ligne de la Chambre des Communes réclame justement que le Canada signe le TIAN sans délai. Chaque geste compte!