Mais que se passe-t-il en Afrique? ont dû se demander les représentants des pays occidentaux à l’ONU à la suite du vote tenu dans cette auguste enceinte, en mars dernier, pour condamner, on ne peut plus sévèrement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Des 57 pays du continent africain, pas moins de 25 ont boudé l’initiative pilotée par l'Union européenne en coordination avec l'Ukraine. Une initiative pourtant suivie massivement : 141 des 193 pays membres de l’ONU ayant appuyé la résolution. Si un seul pays africain, l’Érythrée, a voté contre, 24 autres, dont le Sénégal, l’Afrique du Sud, l’Algérie et le Maroc, se sont ou bien abstenus, ou ne se sont tout simplement pas présentés lors du vote. Une situation qui n’est pas passée inaperçue. Loin de là.
Linda Thomas-Greenfield, l’ambassadrice américaine aux Nations-Unies, a d’ailleurs servi une réprimande à peine voilée en déclarant que les États africains ne pouvaient rester neutres sur la guerre en Ukraine. Rien pour ramener les pays d’Afrique à de meilleurs sentiments à l’égard de l’Occident. La propension historique des puissances occidentales à peser sur les choix et décisions des dirigeants des pays africains et à prendre pour acquis leur adhésion aux positions occidentales est une attitude qui irrite de plus en plus en Afrique. En témoigne, l’exigence des jeunes générations d’Afrique francophone d’en terminer avec le paternalisme caractéristique des rapports avec la France qui, selon les intérêts en jeu, n’hésitait pas à s’ingérer dans les affaires de ses anciennes colonies.
Certains commentateurs politiques originaires du continent ont expliqué ce vote étonnant, non par un soutien à la guerre menée par la Russie, mais par un certain « repositionnement » de l’Afrique dans l’arène internationale, celle-ci évitant ainsi de choisir un camp pour poursuivre les coopérations économiques et politiques établies avec de multiples partenaires. L’objectif ultime étant de maintenir une politique étrangère dépolarisée et de composer avec les poids lourds de la scène mondiale que sont l’Europe, les États-Unis, la Russie et la Chine.
Mais d’autres explications moins diplomatiques et nettement plus politiques ont également resurgi. Notamment celles de l’expérience douloureuse mais ignorée des guerres en Irak, Syrie, Afghanistan, Lybie et au Yémen, soutenues ou même initiées par les puissances occidentales, lesquelles furent particulièrement meurtrières chez les populations des pays ciblés. L’écart entre la couverture de l’invasion de l'Ukraine et les guerres menées dans le Sud global serait un autre sujet qui dérange.
Géant du continent africain dont la stature politique et économique permet une plus grande liberté d’expression à ses dirigeants, l’Afrique du Sud a même mis en cause la responsabilité des puissances occidentales dans le présent conflit. "La guerre aurait pu être évitée si l'OTAN avait tenu compte des avertissements lancés par ses propres dirigeants et responsables au fil des ans, selon lesquels son expansion vers l'est entraînerait une plus grande, et non une moindre, instabilité dans la région", a déclaré le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Il n’est pas interdit de croire que le point de vue du président Ramaphosa soit partagé par nombre de dirigeants de pays africains de moindre stature qui ne peuvent se permettre d’exprimer aussi ouvertement leur point de vue.
Loin de minimiser les impacts de la guerre en Ukraine, ses horreurs et ses conséquences absolument dramatiques sur les populations touchées, le vote de l’Afrique à l’ONU traduit plutôt le sentiment, au sein la société civile africaine et chez ses dirigeants, qu’il est temps que les pays du continent s’occupent de leurs propres affaires et déploient une vraie coopération égalitaire avec les autres pays du monde.