Par jules Bergeron
Alors que le Chili s'apprête à voter pour élire son nouveau président, les média en ont à peine glissé un mot : le pays se prépare à entamer un important processus de rédaction d’une nouvelle Constitution. Le nouveau document remplacera celle qui avait été imposée en 1980 par le régime militaire chilien, alors dirigé par le dictateur Augusto Pinochet.
Pour en arriver là, le parcours n’a pas été facile. L’événement déclencheur remonte au 25 octobre 2019, alors que se produit ce qu’il a été convenu d’appeler un important soulèvement social : entre 1 et 2 millions de Chiliens et Chiliennes ont déambulé dans les rues du pays pour protester pacifiquement contre les inégalités économiques et réclamer la démission du gouvernement en place. C’est l’augmentation du tarif de l’électricité, puis, à deux reprises en 2019, du prix du billet de métro, qui constituent la goutte qui fait déborder le vase.
Économiquement, le citoyen chilien bénéficie du revenu moyen le plus élevé du continent sud-américain. Le prix élevé du cuivre depuis 10 ans a permis à ce citoyen d’améliorer son niveau de vie et de s’enrichir. Mais alors que le Chili s’enorgueillit d’être un oasis vertueux, aux dires de son président, alliant croissance économique et stabilité politique, c’est pourtant dans ce même pays que se trouvent les inégalités économiques parmi les plus flagrantes de toute l’Amérique latine. Une statistique en fait foi : 1 % de la population chilienne accapare 25 % de tous les revenus du pays et ce, après 30 ans de démocratie et d’économie néolibérale. C’est donc peu dire que la croissance économique n’a pas profité à l’ensemble de la population. De plus, le reliquat d’une autre époque qu’est la Constitution actuelle limite fortement l’action de l’État et fait une large place au secteur privé, y compris dans les services publics comme l’éducation, la santé et même l’accès à l’eau potable. Ainsi, cette Constitution ne reconnaît pas aux femmes le droit à l’avortement et considère l’éducation comme un privilège. Le Chili se place ainsi parmi les pays du monde où le secteur de l’éducation est le plus privatisé.
Légende : Fait unique dans l’histoire chilienne, c’est une universitaire mapuche de renommée internationale, Elisa Loncon, qui fut élue en juillet 2021 présidente de l'assemblée constituante, chargée de rédiger une nouvelle Constitution au Chili.
Crédit : Sinflitros.tv – Wikimedia Commons
C’est dans ce contexte que la population chilienne a manifesté son ras-le-bol et mis énormément de pression sur le gouvernement pour que les choses changent pour de bon. Ainsi, le 25 octobre 2020, l’appui à la rédaction d’une nouvelle Constitution l’emporte par 80 % des suffrages exprimés lors d’un référendum national. Puis est venue l’élection d’une assemblée constituante, tenue les 15 et 16 mai 2021, au cours de laquelle furent élus 155 représentants de toutes les tendances, y compris des représentants des Autochtones dont les Mapuches. Autre fait unique dans l’histoire chilienne, c’est une universitaire mapuche de renommée internationale, Elisa Loncon, qui fut élue en juillet 2021 présidente de cette assemblée.
Les travaux de rédaction ont également commencé en juillet, ce qui laisse de 9 à 12 mois à l’assemblée pour arriver au terme de son mandat. Des enjeux prioritaires dans le cadre de la future Constitution ont été clairement identifiés, à savoir : la primauté de l’État comme dispensateur de services publics, l’inclusion des droits des peuples autochtones, la reconnaissance des droits humains et le droit pour tous et toutes à l’éducation supérieure.
Néanmoins, cette assemblée n’est pas décisionnelle pour l’adoption de la nouvelle Constitution à venir. Elle a le mandat de la rédiger, mais le texte sera soumis à la population chilienne par référendum au cours de l’année 2022. La tâche s'annonce ardue, car amener un pays dans la modernité constitutionnelle recèle son lot de défis.