Par Alice Grinand
Le 14 août dernier en Haïti, un séisme fauchant plus de 2200 personnes, est venu rappeler celui de janvier 2010, bien plus mortel, puisque plus de 250 000 Haïtiennes et Haïtiens y avaient perdu la vie. Aujourd'hui, c'est pourtant une crise sécuritaire qui semble constituer l'une des menaces principales de l’île.
Haïti est l'un des pays les plus pauvres du monde, et le plus pauvre des Amériques. Son indice de développement humain le place à la 170eme place sur 189 : près de 60% de sa population se situe sous le seuil de pauvreté, et une personne sur trois est en situation d'insécurité alimentaire.
Le pays, en plus de se situer sur une faille sismique, souffre de son instabilité politique et d'une ingérence internationale. Ainsi, la population haïtienne n'a pas oublié comment le manque de coordination des nombreuses organisations non-gouvernementales (ONG) et la corruption avaient mené à déstabiliser encore plus le pays, plutôt que de contribuer à sa reconstruction. Pourtant, des milliards de dollars avaient afflué vers l'île après le séisme de janvier 2014.
La mission de paix des Nations Unies, la Minustah, s'est achevée en 2017, permettant depuis aux gangs d'étendre leur pouvoir dans la capitale haïtienne, certains allant jusqu'à évoquer la « ganstérisation » du pays. L'instabilité politique du pays semble en outre avoir atteint son paroxysme avec l'assassinat de son président le 7 juillet dernier, assassinat toujours pas résolu. Le président Moïse était de son vivant grandement décrié pour ses dérives autoritaires et son instrumentalisation de la violence, mais sa mort a plongé d'autant plus le pays insulaire dans l'incertitude.
Légende : Depuis la fin de la mission de paix des Nations Unies en 2017, des gangs ont étendu leur pouvoir dans la capitale haïtienne, certains allant jusqu'à évoquer la « ganstérisation »du pays. Parallèlement, les mouvements sociaux dénoncent régulièrement l'ingérence internationale dans les affaires politiques du pays.
Crédit : UN/MINUSTAH/Jesús Serrano Redondo –
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Le samedi 16 octobre, des missionnaires nord-américains ont été victimes d'un kidnapping. Les médias internationaux ont couvert l'événement mais cette réalité concerne une grande partie de la population haïtienne. Selon le Centre d'analyse et de recherche en droits de l'homme, plus de 780 rapts ont été recensés depuis le début de l'année. Le lundi suivant, les habitant-e-s de Port-au-Prince ont laissé les rues de la capitale déserte, suite à un appel à la grève générale pour dénoncer cette insoutenable insécurité.
En outre, ce kidnapping avait lieu le lendemain d'une rencontre du Conseil de sécurité de l'ONU, lors de laquelle la mission du Bureau intégré des Nations Unies, dont le mandat recouvre des actions de conseil et de consultation auprès du gouvernement haïtien, a été prolongée jusqu'au 15 juillet 2022. Pour Frédéric Thomas, docteur en sciences politiques, chargé d’étude au CETRI – Centre tricontinental et notamment l'auteur de « L'échec humanitaire : Le cas haïtien », «on peut voir cet enlèvement comme un camouflé de la politique américaine et l’alignement de la politique internationale derrière-elle ».
Des groupes de la société civile haïtienne abondent dans ce sens. Avant même la mort du président Moïse, certains mouvements dénonçaient autant son gouvernement que la complicité de la communauté internationale. Le collectif Solidarité Québec-Haïti, un groupe ancré dans la diaspora haïtienne du Québec et du Canada, dénonce régulièrement la présence d'Ottawa dans le Core Group, composé notamment des États-Unis, de la France et de l'ONU et qui a été mis sur pied pour gérer les missions de paix en Haïti.
Ce groupe, non-élu et auquel aucun Haïtien ne participe, est souvent critiqué, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, pour ses actions interventionnistes dans les affaires politiques d'Haïti. Lorsqu'il s'agit d'intervenir pour montrer sa solidarité envers les migrants haïtiens, qui quittent leur pays pour fuir l'insécurité et la pauvreté, les pays du Core Group, les États-Unis en tête, ne semblent plus aussi préoccupés par le sort des Haïtiennes et Haïtiens.