par Jean-Claude Landry
Coup de tonnerre dans l’univers de la crème glacée en Israël. Le fabriquant des célèbres glaces Ben & Jerry’s a annoncé, le 22 juillet dernier, que sa crème glacée ne serait plus vendue dans les Territoires palestiniens occupés à compter de la fin de l’année 2022.
« Nous pensons qu'il est incompatible avec nos valeurs que notre produit soit présent dans une occupation illégale internationalement reconnue » soulignait le communiqué de l’entreprise annonçant cette décision.
L’accueil de cette annonce par les autorités israéliennes et une partie importante de l’opinion publique fut pour ainsi dire glacial. Le gouvernement israélien a qualifié cette décision de geste antisémite et appelé les autorités états-uniennes à imposer des représailles économiques à l’endroit de l’entreprise. Mais en Israël même, des voix se sont élevées pour dénoncer l’attitude des autorités.
« La décision de Ben & Jerry’s est légitime. C’est même une décision souhaitable pour quiconque souhaite voir la fin de l’occupation. Cela ne constitue pas de l’antisémitisme. […] Les réactions en Israël révèlent une direction politique hystérique et enfantine. » affirmait en page éditoriale, le 21 juillet dernier, l’influent quotidien israélien Haaretz. « Ben & Jerry’s boycotte l’occupation. Pas Israël, seulement les colonies. Les Israéliens, poursuivait le journal, ont tout simplement oublié l’occupation, mais le monde n’a pas oublié et continuera de s’en souvenir. »
Légende : La crème glacée Ben&Jerry's ne sera plus vendue dans les Territoires palestiniens occupés à compter de la fin de l’année 2022, l'entreprise considérant « incompatible avec [ses] valeurs que [son] produit soit présent dans une occupation illégale internationalement reconnue ».
Crédit : Anton Porsche – Wikimedia Commons
Ce débat s’est également imposé au sein de la communauté juive des États-Unis. Alors que les gouverneurs de quelques États disaient étudier le recours possible à des mesures punitives contre Ben & Jerry’s, des organisations juives les ont enjoint de n’en rien faire. Dans une lettre adressée à ces gouverneurs, elles ont rappelé qu’on ne pouvait qualifier de geste antisémite le boycott des colonies israéliennes. « Un tel discours obscurcit non seulement les faits, mais il s’avère extrêmement polarisant, profondément douloureux pour de nombreux Juifs et nuit à la lutte contre la vague croissante de haine réelle et mortelle à laquelle notre communauté est confrontée dans le monde ». Selon les signataires de la lettre, des gestes comme ceux posés par Ben & Jerry’s devraient plutôt être perçus comme une façon de promouvoir l'instauration d'une solution à deux États - politique longtemps soutenue à la fois par les démocrates et les républicains.
Dans une déclaration publiée dans le New-York Times du 28 juillet dernier, Ben Cohen et Jerry Greenfield, fondateurs de l’entreprise maintenant à la retraite, se sont dit en total accord avec cette décision. « Nous sommes aussi des Juifs fiers. Cela fait partie de qui nous sommes et de la façon dont nous nous sommes identifiés pendant toute notre vie. » Affirmant être toujours des partisans de l’État d’Israël, MM. Cohen et Greenfield y précisaient que le soutien à Israël n’est pas incompatible avec l’opposition à certaines politiques du gouvernement israélien. « Que nous soutenions la décision de l'entreprise n'est pas une contradiction ni antisémite. En fait, nous pensons que cet acte peut et doit être considéré comme faisant progresser les concepts de justice et de droits de l'homme, principes fondamentaux du judaïsme. »
Le coup de tonnerre provoqué par la décision de Ben & Jerry’s et le vif débat qu’elle a suscité, aux États-Unis comme en Israël, témoignent d’une évolution significative de l’opinion à l’égard de l’occupation militaire de la Palestine et de l’implantation de colonies de peuplement. Le temps où Israël était assuré d’un soutien automatique dans ses agissements à l’endroit du peuple palestinien semble définitivement révolu.