Par Charles Fontaine
Depuis bientôt une décennie, des publications dans des revues telles que Nature et Science font état du manque flagrant de diversité parmi les experts des enjeux environnementaux et des sciences de la Terre en général. À vrai dire, comme l’indique la chercheure Kuheli Dutt, « les géosciences font partie des domaines les moins diversifiés des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques aux États-Unis, avec près de 90 % des doctorats décernés à des Blancs ».
Cela n’est pas sans rappeler le rapport de la sociologue environnementale afro-américaine Dorceta Taylor, publié en 2014, qui accusait la faible diversité, soit seulement 16 % parmi 200 organisations environnementales aux États-Unis. Ou encore, cette considérable revue de littérature publiée dans Science à l’été 2020 par Christopher Schell et ses collègues urbanistes et écologues, laquelle démontre les corrélations entre justice climatique et justice raciale sur le plan de l’aménagement du territoire et des villes. Toutes ces publications nous ouvrent les yeux sur cette réalité : la justice raciale est un angle mort de l’écologie, des sciences de la Terre et des mouvements militants pour la protection de l’environnement.
Pourtant, à l’échelle mondiale, les femmes, les Premières Nations, les Inuits ainsi que les différentes minorités ethniques se trouvent les plus à risque face aux changements climatiques. Par exemple, un rapport de l’Université des Nations Unies (Raygorodetsky, 2011) énonce la grande dépendance des Autochtones à l’égard de la biodiversité et souligne que les changements climatiques génèrent des conséquences sur l’agriculture, la pêche, la chasse, la cueillette et d’autres activités de subsistance, y compris l’accès à l’eau. Dans un autre article proposant une analyse des liens entre les changements climatiques et les injustices raciales, les chercheures américaines Haynes et Thomas (2020) affirment que les politiques et pratiques racistes persistantes, telles
que la ségrégation résidentielle, ont conduit à une vulnérabilité accrue des communautés noires aux impacts du changement climatique. Les exemples comme ceux-ci abondent. Il s’avère que toutes ces communautés, souvent plus fragiles et marginalisées, subissent plus que quiconque les contrecoups de ces injustices climatiques. Il semble ainsi que l’intersection entre la justice raciale et la justice climatique soit bel et bien réelle. Or, s’il s’agit de lutter conjointement contre ces deux formes d’injustices, nous avons d’autant plus besoin de valoriser ces vécus, ces idées différentes et cette expérience afin d’alimenter les discussions, d’enrichir notre compréhension de la nature et des sociétés, mais surtout pour insuffler un véritable sentiment d’urgence, à la hauteur des défis que l’anthropocène et les changements climatiques nous imposent.
Cette faible représentativité dans les sciences écologiques et les mouvements environnementaux ne résulte pourtant pas d’un manque d’intérêt pour ces questions de la part des membres des communautés culturelles minoritaires. Bien au contraire, selon un rapport datant de 2010, signé par des professeurs des universités Yale et George Mason, ces communautés sont souvent plus favorables aux politiques environnementales et climatiques. En fait, cette réalité, plusieurs tentent de l’expliquer, comme la micropaléontologiste à l’Université de Californie Lisa White, par une autre inégalité sociale soit l’accès inégal aux activités de plein air. Aux États-Unis, le phénomène est bien documenté. Que ce soit à cause de l’historique ségrégationniste des parcs nationaux américains, du manque de représentativité dans la publicité des activités de plein air ou encore du manque de financement des activités scolaires et parascolaires à l’extérieur pour les communautés urbanisées et racisées, il existe des écarts quant à l’accès aux milieux naturels et activités de plein air aux États-Unis.
Mais qu’en est-il au Canada ? Une étude commandée par la compagnie d’équipement de plein air MEC (Mountain Equipment Coop) indique que la situation est assez différente au pays. L’accès aux milieux naturels et aux activités de plein air semble ici plus égalitaire. Dans la pratique, les membres de communautés culturelles feraient autant sinon plus de sport extérieur que les Blancs et les Blanches. Néanmoins, l’accès à une nature diversifiée au quotidien et aux services écosystémiques qu’elle procure (pensons aux arbres contrant les îlots de chaleur) reste une source d’inégalité qui affecte certainement les communautés culturelles plus souvent présentes en milieux urbains.
Cela dit, cette question d’accès au plein air est importante pour notre questionnement puisque certains pensent qu’une plus grande fréquentation de la nature engendre un sentiment plus ancré que celle-ci nous protège, ou à tout le moins un intérêt plus marqué pour les sciences de la Terre. Selon cette philosophie, un contact plus étroit avec la nature invite à en prendre conscience et s’en soucier davantage. C’est pourquoi il apparaît si important de démocratiser les activités de plein air et l’accès à la nature en milieu urbain et périurbain. Il nous incombe de lutter contre ces injustices, de motiver un sentiment d’appartenance à la nature et d’élargir les perspectives d’analyse des mouvements environnementaux, car, comme l’a si bien dit la militante Leah Thomas : « L’écologisme sera inclusif ou ne sera pas ».
Sources
Rapport U George Mason et Yale
Sondage MEC
Inspiration :
https://www.nytimes.com/2019/12/23/science/earth-science-diversity-education.html