PAR JEan-Claude Landry
Chronique Le monde vu d'ici, Le Nouvelliste, 30 JAnvier 2021
Les images de l’assaut sur le Capitole resteront gravées longtemps dans l’imaginaire collectif des citoyens américains. Une attaque dont on rend responsable l’ex-président Donald Trump qui fait actuellement l’objet d’une procédure de destitution au Sénat américain.
Beaucoup ont vu dans ces évènements l’aboutissement d’une présidence qui n’a eu de cesse d’encourager la division et d’en appeler à la lutte contre «l’État profond», un slogan populaire chez ceux, parce que sont surtout des hommes, qui adhèrent à la théorie du complot et de la conspiration.
Mais ce diagnostic ne convainc pas tout le monde. Il laisserait dans l’ombre l’impact sur la montée des violences des expéditions militaires menées en terre étrangère. C’est du moins l’avis de Mme Kathleen Belew, chercheuse et professeure adjointe d’histoire à l’Université de Chicago, pour qui «les nombreux déploiements de troupes en Irak, en Afghanistan au cours des dernières décennies ont contribué à l’augmentation des violences au sein de la société américaine».
Légende: Les guerres menées à l'étranger par les États-Unis auraient un impact sur la montée des violences d'extrême droite en sol américain selon plusieurs experts.
Crédit Tyler Merbler
D’ailleurs, la multiplication des milices n’est pas un phénomène propre à l’ère Trump. On l’a observé sous la présidence de Barack Obama. Son successeur n’aurait fait qu’accélérer le phénomène avec sa rhétorique revancharde et belliqueuse à l’endroit des groupes et mouvements opposés à ses politiques, notamment le mouvement Black Lives Matter. Mouvements qui, sous l’influence du discours de l’ancien président, ont été pris à partie par les milices. De même que ces élus locaux qui, aux yeux des membres des groupes paramilitaires, se sont rendus coupables de mesures de confinement en raison de la pandémie COVID-19.
Des experts en contre-terrorisme consultés dans le cadre d’une enquête réalisée par le New York Times évaluent à près de 300 le nombre de groupes paramilitaires et de 15 000 et 20 000 le nombre d’adhérents actifs. Le quart d’entre eux seraient des vétérans ou, en plus petit nombre, des membres des forces armées régulières.
La croissance des milices n’a rien d’étonnant pour les observateurs. On l’a historiquement observé au lendemain de périodes de guerre. D’ailleurs, les soldats de retour sont particulièrement recherchés par les milices en raison de leur expertise en maniement des armes et leurs connaissances en matière de tactiques et stratégies militaires.
Si, de retour au pays, la grande majorité des combattants déployés à l’étranger s’intègrent bien dans la société civile, certains rentrent au bercail dans un tout autre état d’esprit. «En mission à l’étranger, vous voyez comment les choses peuvent mal tourner», a déclaré M. Daryl Johnson, ex-analyste au sein du Département de la sécurité intérieure des États-Unis. «La peur du communisme, de l’islamisme et du marxisme marquent profondément certains vétérans. Ils transposent ici les expériences vécues à l’étranger et craignent que leur pays soit menacé des mêmes maux.»
Devin Burghart, directeur exécutif de l’Institute for Research and Education on Human Rights, centre de recherche basé à Seattle sur les groupes d’extrême droite renchérit: «Nous avons passé tellement de temps en guerre à l’étranger qu’un certain nombre d’anciens combattants ont été amenés à croire que s’engager dans la lutte armée est une façon comme une autre de gérer les conflits politiques».
Quels que soient l’issue du procès pour destitution en cours au Sénat américain et son impact sur l’avenir politique de l’ex-président, la fin de l’ère Trump ne signifiera pas la fin des milices, conviennent les experts. Et cela, d’autant plus que le sentiment d’une élection frauduleuse continue de prévaloir au sein d’une frange importante de l’électorat américain. «Les forces d’extrême droite constituent la plus grave menace de terrorisme d’origine domestique», affirmait l’automne dernier le directeur du FBI lors d’un témoignage devant les membres du Congrès.
L’effet boomerang des guerres états-uniennes menées à l’étranger risque donc de perdurer.