Par Renaud Goyer
Chronique Le monde vu d'ici, Le Nouvelliste, 16 Janvier 2021
Le nouveau gouvernement de la Bolivie sous la présidence de Luis Arce tente de continuer la lutte pour la justice sociale tout en tentant de se distancier de l’ancien chef charismatique de son parti Mouvement vers le socialisme (MAS), Evo Morales.
La réélection de Evo Morales en octobre 2019 a secoué la Bolivie. La non-reconnaissance des résultats par son adversaire Carlos Mesa et l’enquête de l’Organisation des États américains déclarant que plusieurs fraudes ont marqué le scrutin ont mené à un coup d’État chassant le mythique président autochtone du pouvoir. À la suite de son départ, une sénatrice de la droite catholique, Jeanine Áñez, devient présidente et promet de nouvelles élections pour le début de l’année 2020.
Or, la pandémie a eu raison de ce calendrier électoral qui verra la date de l’élection repoussée de plusieurs mois, notamment en raison de la mauvaise gestion de la pandémie par la présidente. Finalement, c’est en octobre 2020 que le nouveau scrutin a été tenu et gagné au premier tour par plus de 55 % des voix par le nouveau chef du MAS Luis Arce.
Le retour du MAS confirme la popularité de ce parti auprès de la population bolivienne, et ce même si Morales ne se trouvait pas sur les bulletins de vote. Ainsi, malgré l’apparente continuité, ce gouvernement du MAS cherche à se distancier de son ancien chef (et des accusations de fraude électorale) dans l’objectif de renouveler la politique, en particulier ce que l’on appelle en Bolivie l’indigénisme, c’est-à-dire, la défense des intérêts et identités autochtones. Morales en constituait l’icône depuis le début des années 2000 et en mobilisant le vote des Autochtones, il a réussi à faire basculer le pouvoir bolivien des mains des riches blancs de Santa Cruz aux indigènes des Andes. Mais les années de pouvoir ont fini par ternir son image. Cette importance centrale de Morales au sein du MAS laissait peu de place aux autres acteurs du mouvement dans les communications et le leadership de celui-ci était devenu trop associé au populisme ce qui diminuait la crédibilité du parti.
Ainsi, dès les premiers jours de sa présidence, Arce a tenu à affirmer son indépendance face à l’ancien chef, et ce, même si ce dernier a annoncé son retour en Bolivie. Davantage intellectuel que militant, il souhaite que son gouvernement soit reconnu pour sa profondeur plus que pour les coups de publicité. Ce souhait sera mis au test par les réels pouvoirs et possibilités qu’aura la ministre du nouveau ministère de la Culture, de la Décolonisation et de la Dépatriarcalisation. Ce ministère remplace celui du tourisme aboli sous l’administration Áñez et vise essentiellement à promouvoir la diversité culturelle, à s’assurer que les minorités culturelles prennent part à l’élaboration des politiques culturelles, à mettre en place des politiques visant à lutter contre le racisme et le sexisme et à défendre les différentes nations autochtones et les communautés afroboliviennes.
Ici, le MAS n’est pas plus à gauche ou féministe que du temps de Morales. Dès les débuts de son gouvernement, celui-ci avait mis de l’avant les Femmes autochtones démontrant sa volonté de leur donner de la visibilité. Toutefois, et c’est là le changement dans la continuité, c’est que les propositions du MAS passent du programme du parti aux orientations ministérielles.
La politique du MAS ne tourne plus autour de la figure de Morales mais se concentre sur des actions concrètes à mener dans les prochaines années. À cet égard, il semble que Arce cherche à faire de la politique autrement, du moins de son prédécesseur.