Par Jean-Claude Landry
Chronique Internationale, La Gazette de la Mauricie, Novembre 2020
Coup de tonnerre dans le firmament politique de l’Amérique latine ! Alors que la majorité des pays qui avaient été gouvernés à gauche ont rebasculé à droite voilà qu’en Bolivie, le 18 octobre dernier, les forces de gauche font un retour triomphal au pouvoir après en avoir été chassées, un an plus tôt, par ce qui avait toutes les allures d’un coup d’État constitutionnel appuyé par les forces armées du pays.
Accusé de manipulations électorales frauduleuses, déclarées sans fondement par la suite, M. Evo Morales, président d’ascendance autochtone affirmée, avait dû démissionner et choisir l’exil pour sa sécurité, en dépit de l’obtention de la majorité requise pour gouverner. Sous sa présidence et la gouverne de son parti, le Mouvement vers le socialisme (MAS), d’importantes réformes avaient bousculé l’ordre établi.
Mesures économiques ambitieuses pour un contrôle accru de l’État bolivien dans la gestion des ressources naturelles et un accroissement significatif des retombées économiques pour le pays. Programmes visant à diminuer drastiquement les taux d’analphabétisme et de pauvreté
ainsi que les profondes inégalités économiques et sociales. Changements constitutionnels en réponse aux revendications culturelles et sociales des populations autochtones et à leur volonté d’avoir une voix plus forte au sein des institutions nationales.
Les forces de gauche font un retour triomphal au pouvoir en Bolivie après en avoir été chassées, un an plus tôt, par ce qui avait toutes les allures d’un coup d’État constitutionnel.
Crédit photo : Natacha Pisarenko Associated Press
Des initiatives qui ont fortement déplu à une frange de la classe moyenne et supérieure « blanches » qui les a perçues comme une volonté de réduire leur pouvoir et leur influence au bénéfice des peuples autochtones qui comptent pour 40% de la population du pays. « L’indigène », comme se plaisaient à l’appeler les plus fervents détracteurs du président déchu, en faisait trop pour les peuples autochtones. D’où l’accusation de fraude électorale qui a conduit à son renvoi et à l’organisation de nouvelles élections.
Tout au long de l’année précédant celle-ci, la présidente par intérim autoproclamée, Jeanine Áñez, et ses alliés conservateurs ont multiplié les embûches pour le parti de M. Morales et ses dirigeants. Accusation de terrorisme contre l’ancien président, obstacles posés aux représentants du MAS pour soumettre leur candidature, arrestations et mises sous enquête de personnes proches de l’ancienne administration. Tout pour discréditer le Mouvement pour le socialisme et empêcher son retour au pouvoir.
Or, le 18 octobre dernier, dans un scrutin marqué par une participation record de 88%, Luis Arce, candidat du MAS à la présidence et ministre de l’Économie sous la présidence Morales et son colistier David Choquehuanca, aymara et ancien ministre des Affaires étrangères, recueillent, au premier tour du scrutin, plus de 55% des voix. Et le MAS fait élire une majorité de représentantes et représentants à la Chambre des députés et à la Chambre des sénateurs.
Au-delà d’un spectaculaire retour de la gauche au pouvoir, cette élection témoigne d’un retentissant message adressé par les peuples autochtones à la nation, soit le refus d’être à nouveau considérés comme des citoyens de seconde zone et leur détermination à « peser » de tout leur poids dans les affaires de la nation.
Ce scrutin constitue une illustration additionnelle de la résilience dont font preuve les peuples autochtones qui, confrontés depuis des siècles à la domination coloniale, n’ont jamais abandonné la lutte pour la reconnaissance de leurs droits historiques.
En témoignent les actions de résistance autochtones qui émaillent les Amériques, de la Terre de Baffin à la Terre de Feu. Coupes abusives en Amazonie, sites miniers dévastateurs en Amérique Centrale, projets gaziers toxiques dans les plaines états-uniennes, projets de pipeline qui menacent l’environnement dans l’Ouest canadien, les luttes autochtones ne sont pas près de s’achever.