Par Florie Dumas-Kemp
Chronique Le monde vu d'ici, Le Nouvelliste, 26 septembre 2020
La chute que subit présentement l’industrie touristique mondiale a de quoi donner le vertige. En mai dernier, le nombre de touristes internationaux a diminué de 98 %, selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). L’industrie a perdu 460 milliards $US en six mois et le trafic aérien a drastiquement chuté. Dans le secteur aérien et touristique, on ne prévoit pas un retour à la normale avant 2024. Face à la crise climatique actuelle et aux inégalités toujours croissantes, ce retour est-il souhaitable?
À l’occasion de la journée mondiale du tourisme qui a lieu ce 27 septembre, l’ONU appelle à reconstruire ce secteur et à profiter de la pandémie pour le transformer. Le tourisme de demain devra être rebâti «de manière sûre, équitable et écologique» a affirmé António Guterres, secrétaire général des Nations Unies. Selon l’OMT, cette reconstruction est une nécessité, car une centaine de millions d’emplois sont menacés par la crise. Une grande proportion de ces emplois est occupée par des populations marginalisées comme les femmes et les jeunes dans le secteur du travail informel.
Cet appel à relancer le tourisme ne saurait faire fi de la présente crise climatique qui secoue le globe. Le tourisme de masse est à l’origine de plusieurs enjeux environnementaux, comme la surconsommation d’eau, l’érosion des sols ou l’extinction d’espèces.
«Les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports pourraient connaître une forte hausse si la reprise n’est pas en phase avec les objectifs climatiques», prévient Guterres. Effectivement, l’industrie touristique représente environ 8 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Ceci s’explique en grande partie par le trafic aérien et le secteur des croisières.
Avant la pandémie, on estimait que presque rien ne semblait arrêter la croissance du transport aérien. Pas même la crise financière de 2008, celle du SRAS en 2003 ou les attentats du 11 septembre 2001, qui n’ont ralenti que momentanément la progression du secteur. Coûte que coûte, le trafic aérien mondial double tous les 15 ans depuis 1945.
Toutefois, cette hausse du transport par avion ne signifie pas qu’il y a une démocratisation de la pratique. En réalité, la grande majorité des passagers aériens et des touristes viennent des pays industrialisés du Nord, ou encore de la classe moyenne de pays en développement. Les touristes ne représentent que 3,5 % de la population mondiale. En ce sens, l’industrie du tourisme est révélatrice des inégalités dans le monde.
Cette semaine, un rapport d’Oxfam soulignait comment les inégalités économiques sont intimement liées à la crise écologique. Dans le rapport, on note que les 10 % les plus riches de la population mondiale sont à l’origine de la moitié des émissions de GES entre 1990 et 2015. Le transport aérien est bien sûr mis en cause.
On pourrait s’engager à prendre moins l’avion, mais c’est trop peu selon Oxfam. L’ONG conclut qu’il faudra plutôt des changements systémiques pour lutter efficacement contre la crise climatique et celle des inégalités. Du côté de l’OMT, on appelle à promouvoir un tourisme plus local. Selon Greenpeace, «réduire le trafic aérien est indispensable pour vraiment baisser les émissions de gaz à effet de serre du secteur et lancer une véritable transition écologique». En somme, un retour à la normale ne semble pas possible si l’on tient compte des limites de notre planète.