Par Florie Dumas-Kemp
Chronique Internationale, Gazette de la Mauricie, Septembre-Octobre 2020
En avril 2020, au début de la crise sanitaire mondiale, c’est environ la moitié de l’humanité qui était sous confinement. Sans précédent, ce confinement généralisé aura permis de sauver des millions de vies et de réduire la courbe de propagation du virus. Parallèlement, une autre courbe était loin de s’aplatir mondialement : celle des violences faites aux femmes. Lorsqu’il est question de cet enjeu, on observe une tendance à banaliser l’impact et l’ampleur de cette violence lorsqu’elle est perpétrée en ligne.
Confinement avec un agresseur, isolement social, insécurité économique, perte de liberté de mouvement : tous ces facteurs ont eu pour effet d’intensifier les violences de genre à travers le monde, rapporte ONU Femmes. Les dénonciations de violences domestiques et les appels d’urgence ont fait un bond de 25% avec l’arrivée de la pandémie. Les violences sexistes en ligne n’ont pas fait exception, comme l’ont observé des organisations un peu partout dans le monde.
Selon l’Association pour le progrès des communications, on définit cette forme de violence comme suit:
« Tout acte de violence sexiste ou genrée commise, favorisée ou exacerbée par l’usage des technologies de l’information et de la communication (TIC), comme les téléphones cellulaires, l’internet, les réseaux sociaux, les courriels, etc. »
Cette violence en ligne est perpétrée majoritairement envers les femmes et les personnes LGBTQIA+.
Exemples de violence sexiste en ligne
Harcèlement en ligne, menaces de mort ou de viol, publication non consentie d’images intimes, surveillance, cyberchantage et sextorsion, discours haineux, etc.
Une cyberviolence en hausse mondialement
Dans un contexte où l’utilisation globale de l’internet a doublé en plein confinement, le risque de violence en ligne envers les femmes, les filles et les personnes LGBTQIA+ a augmenté. Au Liban, l’association Fe-Male a observé que plus d’une centaine de cas de cyberviolence sont rapportés chaque mois par des femmes et des filles. Aux Philippines, l’association FMA (Foundation for Media Alternatives) cartographie les cas de cyberviolences sexistes médiatisés depuis 2012. Cette année, FMA a constaté une nette augmentation des cas répertoriés depuis la pandémie. En Inde, l’association Point of View a étudié une hausse de ces violences pendant le confinement, notamment envers les femmes journalistes et les personnes queers et trans sur les réseaux sociaux. Nous pourrions continuer longtemps, mais la liste serait trop longue.
Le phénomène est global. Toutefois, il affecte de façon inégale les femmes dans le monde et prend différentes formes selon le contexte national, l’orientation sexuelle, la race, la caste, la classe, etc. Cette étude d’Amnistie internationale faite aux États-Unis et au Royaume-Uni l’illustre bien. Il a été démontré que les femmes noires journalistes ou politiciennes ont 84% plus de chance d’être la cible de discours haineux en ligne que leurs collègues blanches.
Une atteinte à la liberté d’expression
La violence sexiste en ligne a des conséquences réelles sur la vie des personnes ciblées, notamment sur leur santé mentale, leur liberté de circuler en sécurité et leur situation économique. Cette forme de violence amène aussi les femmes et personnes LGBTQIA+ à s’auto-censurer ou même à quitter entièrement certaines plateformes. Dans une étude conduite dans 5 pays d’Afrique (Éthiopie, Ouganda, Sénégal, Kenya, Afrique du Sud), on a constaté que 26% des survivantes avaient supprimé ou désactivé leur compte ou tout simplement arrêté d’utiliser un service en ligne.
La violence sexiste en ligne affecte toute la société en menaçant la liberté d’expression des femmes et minorités sexuelles. Très souvent, elle menace le travail et la sécurité des femmes journalistes. Plus que des attaques sur des individus, « ces attaques ont un impact réel et documenté sur le journalisme et dissuadent les femmes d’exercer leur travail » rappelle Media Matters for Democracy au Pakistan. La cyberviolence sexiste menace aussi l’accès, libre et sécuritaire, des femmes à l’internet. Cet accès est déjà fortement inégalitaire pour les femmes et particulièrement les femmes du Sud.
Une solidarité internationale pour un internet féministe
En contexte de pandémie, une grande partie de nos activités sociales, éducatives, de travail ont été transférées vers le web. Lorsque la violence sexiste en ligne mène ses survivantes à quitter les espaces numériques : on les exclut de l’espace public. Du Mexique au Népal, des organisations de défense des droits des femmes et minorités sexuelles luttent contre cette cyberviolence, mais aussi pour un internet féministe. C’est-à-dire un internet libre, sécuritaire et accessible pour toutes et tous !