Par Renaud Goyer
Chronique Le monde vu d'ici, Le Nouvelliste, 15 mai 2020
En transformant la crise sanitaire en crise politique par son refus de reconnaître l’ampleur du problème, le président du Brésil, Jair Bolsonaro, alimente d’autres crises politiques qui minaient déjà son mandat.
Les sorties du président pour aller à la rencontre de ses supporteurs venus le visiter à Brasilia, la capitale, sont maintenant célèbres. Se distinguant des autres chefs d’État, à l’encontre des directives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), mais également des médecins de sa propre santé publique, il harangue les foules allant même jusqu’à tousser sur les participants les plus proches de lui. En outre, en pleine crise, il a renvoyé son ministre de la Santé. Cette approche face à la COVID-19 lui a valu de vives critiques tant de la part des grands journaux brésiliens que de plusieurs gouverneurs et maires, en particulier des grandes villes. Dans un passé pas si lointain, certains d’entre eux l’appuyaient pourtant et avaient même contribué à son élection. Les électeurs brésiliens sont de plus en plus en désaccord avec sa gestion de la crise. Les taux d’approbation de celle-ci suivent en effet la courbe inverse de l’augmentation des cas d’infection et de mortalité au coronavirus.
À première vue, le portrait sanitaire du Brésil ne parait pas particulièrement alarmant. En date du 10 mai, il y aurait autour de 170 000 cas d’infection au pays de la samba et plus de 10 000 morts, ce qui signifie un taux de mortalité de près de 6 %. Ce taux de mortalité est tout de même plus faible que ceux du Canada et du Québec qui dépassent 7 %. En outre, avec une population près de 6 fois plus élevée qu’au Canada, les taux d’infection et de mortalité par 1000 habitants seraient donc beaucoup moins élevés au Brésil.
Or, ce portrait statistique ne permet pas de rendre compte de l’ampleur réelle de la crise. Comme le rappellent plusieurs experts brésiliens relayés dans les médias, il faudrait multiplier les chiffres par 15 pour avoir une idée plus juste de la propagation au Brésil, surtout parce que très peu de tests par 1000 habitants y sont effectués. Ensuite, le système public de santé, seule solution pour les ménages les plus pauvres alors que les riches ont accès à un système privé de qualité, n’arrive pas à offrir une couverture suffisante pour l’ensemble de la population. Finalement, l’importante présence des favélas dans les villes, ces zones périurbaines où les autorités sanitaires ne se rendent pas, où la densité de la population est très grande et où les conditions de vie rendent difficile la mise en place de mesures de distanciation physique, laisse croire à une présence beaucoup plus importante de cas que le démontrent les statistiques officielles. À cet égard, si ailleurs dans le monde, le coronavirus frappe plus fortement les plus pauvres, il semble en être de même dans une des démocraties les plus inégales au monde.
En parallèle de sa gestion erratique de la crise sanitaire, le président Bolsonaro fait face à une crise politique depuis que son ministre de la Justice Sergio Moro - responsable des procès sur la corruption du Parti des travailleurs de l’ancien président Lula ayant empêché ce dernier de se présenter aux dernières présidentielles - a quitté le gouvernement refusant de céder aux pressions du chef de l’État qui souhaitait protéger son fils contre une enquête de corruption. Une part importante de son électorat risque d’appuyer l’ancien ministre s’il décidait de se présenter aux prochaines élections.
Toutes ces crises contribuent à la critique grandissante contre la gestion et les politiques de Bolsonaro. Des procédures visant à le destituer sont d’ailleurs déjà en marche par des élus de l’opposition et l’ancien président Cardoso a même réclamé sa démission afin d’éviter un tel processus pendant la crise sanitaire. Or, si celle-ci amène une crise économique partout où elle frappe, au Brésil elle s’accompagne d’une instabilité politique grandissante.