Par Jean-Marc Lord. Collaboration spéciale.
L’élection présidentielle du 20 octobre dernier en Bolivie a provoqué tout un tsunami. Dans ce pays qui a vécu plus de 190 coups d’État depuis 1825, on bénéficiait pourtant d’une rare période de stabilité et de prospérité économique depuis 14 ans, soit depuis l’élection d’Evo Morales, comme président du pays. Or, ce dernier a dû démissionner sous la pression de l’armée et s’exiler au Mexique suite à une forte contestation populaire ponctuée de violences. Que s’est-il passé pour en arriver là ?
Evo Morales, un bilan positif, mais…
Dans ce pays peuplé d’autochtones à près de 60 %, victimes depuis plus de 400 ans de racisme, d’exploitation et de pauvreté, l’arrivée au pouvoir en 2005 d’Evo Morales, lui-même autochtone et d’origine modeste, suscite énormément d’espoir chez ces peuples oubliés de l’histoire. Mais pour la population non-autochtone, historiquement habituée à gouverner, c’est un choc. Réélu deux fois avec des majorités confortables, Morales modifie la constitution, afin notamment qu’y soient reconnus les droits des autochtones, et entreprend de gros chantiers visant à assurer une meilleure redistribution des richesses du pays et l’amélioration des conditions de vie des plus pauvres. Comme d’autres dirigeants de gauche, il prend ses distances avec les États-Unis. Sous la présidence d’Evo Morales, la proportion de Boliviens vivant dans la pauvreté est passée à 35 % en 2017 alors qu’elle était de 60 % en 2006. Le salaire minimum a triplé, le PIB a fortement augmenté et l’inflation est restée sous contrôle. Un bilan somme toute assez positif au regard de la réduction des inégalités et de l’amélioration des conditions de vie socio-économiques de la majorité des Boliviens.
Toutefois, l’usure du pouvoir, l’acharnement à y rester et quelques scandales (parfois fabriqués et moussés par l’opposition) entachent ce bilan. La grogne populaire est montée d’un cran après la décision de Morales, en novembre 2017, de modifier la constitution pour lui permettre de se représenter une quatrième fois à la présidence du pays. Les Boliviens s’étaient pourtant prononcés à 51,3 % contre cette éventualité lors d’un référendum en février 2016. À partir de ce moment et jusqu’aux élections du 20 octobre dernier, de nombreux Boliviens en colère, provenant de plusieurs secteurs de la société, autant à droite qu’à gauche, manifestent leur mécontentement. Pour finir, des soupçons d’irrégularités dans le décompte des résultats de l’élection du 20 octobre ont entaché encore plus la crédibilité de Morales. Les partis et les médias de droite, de même que l’armée et la police, n’ayant jamais digéré l’élection à la présidence d’un « indien » ni le fait d’avoir perdu des privilèges et du pouvoir au bénéfice de la majorité de la population, ont exploité efficacement la situation et attisé les braises du mécontentement populaire à leur profit, au point d’obliger Morales à démissionner et à s’enfuir dans la confusion.
Recul ou avancée pour les Boliviens ?
Malgré son programme politique visant à amoindrir les grandes inégalités et les injustices en Bolivie, Evo Morales aura, suite à quelques mauvaises décisions, donné à l’opposition toutes les occasions qu’elle attendait pour pousser son agenda politique et exacerber le mécontentement populaire à son avantage. Depuis le départ précipité de Morales, ses opposants les plus farouches ont les coudées franches et se livrent à une chasse aux sorcières envers les partisans de l’ex-président, alors que ces derniers manifestent tout aussi énergiquement pour dénoncer ce qu’ils nomment un coup d’État. Malheureusement pour les Boliviens, ce retour de la droite (et de l’influence des États-Unis) au pouvoir, l’hyperpolarisation de la société et l’instabilité ambiante annoncent probablement une période trouble qui pourrait bien se traduire par des reculs importants en termes de droits sociaux, économiques et judiciaires, et pour les autochtones en particulier, le retour du racisme et de la discrimination.
L’ex-président Evo Morales a-t-il été victime d’un coup d’État ou d’une révolution populaire? La situation aurait-elle été différente s’il avait décidé de ne pas se représenter à l’élection du 20 octobre ? Comment évoluera la situation en Bolivie suite et à l’instabilité qui s’est installée dans le pays après son départ en exil ?