Par Jean-Marc Lord. Collaboration spéciale.
Depuis quelque temps, les actualités rapportent de gigantesques manifestations au Liban, au Chili, en Irak, en Haïti, en Algérie. Des populations prennent la rue et bravent les coups de matraque et les gaz lacrymogènes pour exiger des changements radicaux de ceux qui les gouvernent, voire leur démission. Pourquoi ces gens sont-ils en colère? Que veulent-ils et qu’est-ce qui les unit? Voyons d’abord deux exemples de ces peuples en colère.
Un 38e vendredi de revendications en Algérie
Depuis le 16 février dernier, les Algériens ne décolèrent pas. Cette journée-là, ils sont sortis en masse dans les rues pour protester contre la volonté du vieux président Bouteflika de se présenter pour une 5e fois à la présidence du pays. L’extraordinaire persévérance des manifestants, toujours pacifiques, contraint Bouteflika à la démission le 2 avril. Pour le peuple algérien pourtant, ça ne suffit pas. Si Bouteflika part, mais que le système mafieux et corrompu qu’il a mis en place reste intact, rien de tout cela n’aura valu la peine. Les vendredis de protestations massives et pacifiques se succèdent donc semaine après semaine et le peuple exige dorénavant le départ de toute la clique qui s’enrichit de manière immorale et qui siphonne indûment les richesses du pays alors que le peuple algérien, lui, s’appauvrit sans cesse.
Le ras-le-bol des Chiliens
Depuis le 18 octobre, des centaines de milliers de Chiliens envahissent les rues pour revendiquer des soins de santé et d’éducation plus accessibles, des pensions de vieillesse décentes, la démission du gouvernement et une nouvelle constitution. Tout a commencé quand le gouvernement a augmenté le coût du ticket de métro. Pour les Chiliens, cette énième augmentation du coût de la vie était la goutte de trop qui a fait déborder le vase, s’ajoutant aux difficultés économiques des classes moyennes et pauvres. Il faut dire que la dictature (1973-1990) a façonné l’économie et l’État chiliens de manière à les mettre entièrement au service d’une poignée de privilégiés déconnectés des préoccupations des gens ordinaires. Ainsi, dans ce pays riche, mais où s’observent les taux d’inégalités les plus élevés en Amérique latine, aller à l’université, à l’hôpital, ou acheter des médicaments est hors de prix pour la majorité. Après avoir envoyé l’armée réprimer brutalement les manifestants (des dizaines de morts et des milliers de blessés), le gouvernement a dû se résigner à adopter quelques mesures sociales en espérant apaiser la grogne. Mais rien n’y fait, et les Chiliens qui en ont vraiment ras le bol sont toujours dans la rue et continuent à mettre de la pression pour obtenir le changement souhaité.
Partout les mêmes revendications
En Haïti, en Irak, au Soudan, en Guinée, au Liban, comme en Algérie et au Chili, les manifestants semblent animés par une même volonté, celle de mettre fin à la corruption, d’obtenir une meilleure démocratie et d’avoir de quoi faire vivre leur famille convenablement. Dans tous ces pays, comme dans bien d’autres d’ailleurs, le pouvoir et l’économie ont été mis au service exclusif d’une minorité de privilégiés qui vampirisent leur propre peuple et enrichissent leurs familles et leurs amis avec l’aval, très souvent, des pays riches. L’accroissement phénoménal des inégalités depuis quelques décennies n’est pas un phénomène réservé aux pays en développement et se généralise partout dans le monde, même au Canada. À titre d’exemple, OXFAM affirmait en janvier 2019 que les 26 personnes les plus riches du monde possèdent autant de richesses que les 3,8 milliards les plus pauvres (la moitié de la population mondiale). C’est cette incroyable injustice qui pousse des millions de personnes dans le monde à réclamer une meilleure vie. Tant que l’indécente richesse et le pouvoir absolu d’une poignée de milliardaires continueront à côtoyer l’extrême pauvreté et la détresse, il faut s’attendre à ce que des marées humaines en colère continuent à se faire entendre dans les rues des capitales de ce monde.
Manifestation dans les rues de Beyrouth au Liban le 27 octobre. Même s’ils ont obtenu la démission du premier ministre, des millions de Libanais en colère continuent d’envahir les rues pour revendiquer des changements radicaux : fin de la corruption, des dirigeants se préoccupant du peuple au lieu de leurs propres intérêts, de meilleures conditions de vie.