Par Renaud Goyer. Collaboration spéciale.
Lors de la dernière cérémonie des Oscars, le film Roma du réalisateur mexicain Alfonso Cuarón a fait grand bruit. Pour la première fois, une femme autochtone, Yalitza Aparicio, était en nomination pour le prestigieux prix de la meilleure actrice pour son interprétation d’une aide domestique au service d’une famille aisée mexicaine.
Dans son dernier long-métrage, Cuarón fait un parallèle entre les changements vécus par une famille du quartier bourgeois Colonia Roma à Mexico, et ceux vécus par la société mexicaine à la fin des années 1960 marquée par l’augmentation de l’autoritarisme du gouvernement, les manifestations étudiantes et les mobilisations autochtones. Le réalisateur présente, à travers le regard des femmes travaillant pour des familles plus fortunées, non seulement leur déracinement social et territorial, souvent obligatoire pour ces Autochtones issues de milieux ruraux, mais également le manque de reconnaissance accordé à ces femmes par la famille qui les emploie et par la société mexicaine.
Plusieurs commentateurs ont fait grand cas de l’amour dont fait preuve la famille envers ses employées. Le film démontre pourtant le contraire puisque quoiqu’il arrive et quoique puissent dire les membres de la famille, ces femmes demeurent employées à leur service sans véritable reconnaissance sociale. Les dernières scènes du film vont d’ailleurs en ce sens : après que deux des enfants de la famille aient été sauvés de la noyade par la domestique interprétée par Yalitza Aparicio, la famille accueille celle-ci tel un membre de leur famille, mais, très rapidement, la vie reprend son cours, et la jeune femme retourne dans l’ombre. Avec une telle finale, on en vient à se demander si les domestiques font véritablement partie de la famille.
Plusieurs chercheurs se sont penchés sur la question. Nombre d’entre eux ont relevé qu’exigeant une insertion complète dans la vie familiale, le travail de domestique peut constituer une forme d’esclavage. Bien qu’on ait davantage étudié ce phénomène dans différents pays d’Amérique latine, Jean-Claude Landry rappelait, dans un article publié en mars dernier dans La Gazette de la Mauricie, que le Canada ne fait pas meilleure figure que ses voisins du Sud en matière de droits des domestiques.
Le nombre d’employés de maison moyen constitue un important indicateur des inégalités de revenus au sein d’une société. Le phénomène des aides domestiques reflète la présence de familles riches, mais également celle de ménages très pauvres dont les membres sont souvent peu scolarisés et qui n’ont d’autres choix que de se tourner vers des emplois souvent précaires.
Or, dans plusieurs pays d’Amérique Latine, les aides domestiques ne travaillent pas que dans les quartiers riches. Un grand nombre de ménages dont les revenus se rapprochent de ceux de la classe moyenne, engage aussi des employés de maison. Bien souvent, les nouveaux revenus des ménages ne sont pas captés par l’impôt pour contribuer à la justice sociale mais servent plutôt à engager des gens pour aider avec les tâches quotidiennes. Dans une certaine mesure, l’emploi d’aides domestiques se transforme en politique de redistribution. Cependant, ces embauches, généralement effectuées au noir, s’accompagnent de salaires extrêmement bas et de longues heures atypiques de travail.
Ces difficiles conditions de travail ont amené plusieurs femmes à défendre leurs droits et parfois même à faire adopter des politiques reconnaissant leur apport à l’économie et à la société. Par exemple, en 2015 au Brésil, les aides domestiques ont obtenu une extension de leurs droits sociaux comprenant entre autres la limitation des heures de travail et la rémunération des heures supplémentaires. Ces nouveaux droits ont fait l’objet d’une forte opposition de la part de leurs employeurs qui refusaient de reconnaître l’ampleur de leur contribution. Leur principal argument : les aides domestiques ne sont pas des employés mais « des membres de la famille ».
À cet égard, au-delà de ses qualités cinématographiques, Roma a le mérite de raconter l’histoire de ces femmes d’une grande importance, mais trop souvent reléguées dans l’ombre.
Le travail d’aide domestique s’apparente parfois à une forme d’esclavage. Il n’est pas étonnant que plusieurs d’entre elles revendiquent leurs droits et de meilleures conditions de travail.