PAR Jean-Claude Landry. COLLABORATION SPÉCIALE.
Le son assourdissant des sirènes et des tirs d’artillerie en Libye n’est sans doute pas parvenu aux oreilles des ministres des affaires étrangères réunis la semaine dernière à Washington pour souligner le 70e anniversaire de la création de l’OTAN, la plus puissante alliance militaire de la planète. L’OTAN, c’est vingt-neuf pays qui comptabilisent plus de 3,2 millions de soldats et des dépenses militaires cumulées de plus de 1200 milliards de dollars. Mais cette récente flambée militaire en Libye a tout de même dû assombrir quelque peu l’ambiance de l’événement.
Depuis la chute du dictateur Kadhafi en 2011 après une opération militaire de l’OTAN, la Libye est un pays en guerre, éclaté, instable, avec en prime la présence sur le territoire d’Al-Qaïda, au sud, et, au nord, d’une branche libyenne de l’organisation État islamique (DAECH). L’ouest du pays et sa capitale Tripoli sont sous l’autorité de Fayez al-Sarraj à la tête d’un gouvernement d'union nationale (GNA) qui a même de la difficulté à s’imposer à ses propres milices qui s’affrontent occasionnellement. À l’est, qui comprend la grande ville de Benghazi, l’autorité effective est assumée par l’Armée nationale libyenne (ALN) dirigée par le maréchal Khalifa Haftar. C’est l’offensive militaire des troupes de ce maréchal, actuellement aux portes de Tripoli, qui a ramené, ces jours derniers, la Libye au cœur de l’actualité internationale.
Les tensions qui opposent les régions de Tripoli (ouest) et de Benghazi (est) ne sont pas récentes. Les ressources énergétiques étant principalement localisées (80%) à l’est du pays, ses habitants considèrent que la majorité des revenus générés par ces ressources devraient leur revenir. Les habitants de l’ouest toutefois, du fait qu’ils constituent la majorité de la population libyenne, revendiquent la direction du pays et l’autorité sur la répartition des bénéfices de la rente pétrolière.
Depuis l’intervention de l’OTAN en 2011, les efforts diplomatiques n’ont pas manqué pour tenter de stabiliser ce pays en proie aux tensions entre les régions, mais aussi entre ses nombreuses tribus. Conférences internationales, mission de l'ONU, rencontres au sommet, délégations d’émissaires de paix.... Rien n'y a fait. La Libye semble durablement installée dans la misère et le chaos. Appauvrissement de la classe moyenne, systèmes de santé et d’éducation en recul, insécurité permanente et niveau de corruption insoutenable. Faut-il s’étonner de l’aveu de l’ex-président Obama qui, à une question d’un journaliste de Fox News, affirmait que la « pire erreur de sa présidence fut de ne pas prévoir l’après Kadhafi » laissant entendre que les puissances étrangères se sont trop rapidement désintéressées de la « nation building », cette nécessaire reconstruction sociale et politique du pays après l’éviction du régime Kadhafi.
Après les expériences douloureuses des interventions militaires en Afghanistan, en Irak et en Libye, pays marqués par une instabilité chronique et des tensions sociales et communautaires très vives et un climat de violence persistant, une question se pose. Comment gagner la paix même si l’ampleur et la sophistication des moyens militaires assurent la victoire militaire? Une question qui, le cas de la Libye refaisant surface en pleine festivité anniversaire, est probablement venue à l’esprit de ceux et celles qui participaient à la commémoration de la fondation de la plus puissante alliance militaire de la planète.
Alors que l’OTAN justifiait son intervention en Libye en affirmant qu’il fallait se débarrasser de Kadhafi pour le bien du peuple libyen, force est de constater que la situation de la population libyenne peut difficilement être aussi pire qu’en ce moment…