PAR LAURANNE CARPENTIER. Collaboration spéciale
Depuis plusieurs mois, de nombreuses femmes sont mobilisées en Argentine pour exiger la légalisation de l’avortement. Surnommées les «foulards verts», elles s’opposent à la loi actuelle de leur pays qui n’autorise l’interruption volontaire d’une grossesse que si la santé de la mère est en danger ou lorsque la grossesse est le fruit d’un viol. Mais si les foulards verts sont fortement mobilisés en faveur de l’avortement, une frange importante de la population argentine y est encore opposée farouchement. Revenons sur les raisons qui poussent, en 2019, tant d’Argentins et d’Argentines, à s’opposer à la légalisation de l’avortement dans leur pays.
Selon Karina Felitti, une chercheure de l’Université de Buenos Aires, la forte présence de la religion catholique, l’histoire politique du pays et l’ambivalence de la population vis-à-vis de l’avortement expliqueraient en bonne partie l’opposition du gouvernement à légaliser l’avortement.
La forte présence de la religion catholique
Implantée depuis les premiers balbutiements de la colonisation espagnole, la religion catholique est très pratiquée en Argentine. En effet, 92 % de la population y est de tradition catholique. Le pape François, chef suprême de l’Église à Rome, est d’ailleurs originaire de ce pays. Or, l’interruption volontaire d’une grossesse est condamnée par la religion catholique, ce qui influence un nombre considérable de gens à s’opposer à sa légalisation.
L’histoire politique du pays
La mémoire collective des Argentins est encore fortement marquée par les violences perpétrées durant la dictature militaire (1976 à 1983). L’avortement était alors utilisé par les militaires au pouvoir afin de contrôler et de réduire au silence la population argentine en quête de liberté. Depuis, beaucoup d’Argentins accordent une valeur particulière à la vie intra-utérine. Dans un pays où l’avortement forcé a servi d’arme de guerre, l’interruption volontaire d’une grossesse est encore perçue par de nombreuses personnes comme un acte inhumain.
L’ambivalence de la population
La population actuelle de l’Argentine semble profondément divisée sur la question de l’avortement. D’une part, la majorité catholique valorise fortement la maternité et la vie intra-utérine alors que, d’autre part, la jeunesse est portée par des valeurs comme l’éducation, l’ouverture et l’égalité entre les sexes.
L’ambivalence de l’ancienne présidente de l’Argentine Christina Kirchner (2007-2015) à l’égard de l’avortement illustre à merveille la position difficile dans laquelle se trouve la population face à cette question. Alors que Kirchner se positionnait publiquement en faveur des droits des femmes et en faveur de l’éducation sexuelle lorsqu’elle était au pouvoir, cela ne l’empêchait pas de s’opposer au droit à l’avortement pour des raisons aussi bien politiques que personnelles. En 2018, devenue sénatrice, elle a voté en faveur d’un référendum sur la question de la légalisation de l’avortement. Selon elle, son changement d’idée aurait été fortement influencé par les milliers de « foulards verts » s’étant mobilisées la même année.
En terminant, comme il est difficile de faire changer les mentalités, on n’a sans doute pas fini d’entendre parler des «foulards verts» et de leur lutte pour plus de liberté.