PAR RENAUD GOYER ET CORINA BORRI-ANADO
Le deuxième tour des élections présidentielles au Brésil tenues les 28 octobre dernier ne réservait pas de surprise. Déjà, depuis quelques semaines, l’avance de l’ancien capitaine de l’armée d’extrême-droite Jair Bolsonaro dans les sondages était suffisante pour empêcher un retour au pouvoir du Parti des Travailleurs (PT), le parti de l’ancien président Lula da Silva.
La vague anti-PT était si forte qu’elle a porté au pouvoir un candidat aux déclarations incendiaires, notamment à l’endroit de la communauté LGBT, des Noir-e-s, des pauvres et des femmes, qui use sans gêne de symboliques violentes dans ses discours tout en favorisant une libéralisation du port d’armes (ses partisans n’hésitent à se faire prendre en photo avec les armes à la main). Le thème central de sa campagne se basait sur un changement de cap radical pour mettre fin à la corruption et à l’insécurité.
Mais ce renouveau politique est plutôt un retour en arrière : le président désigné ayant fait campagne en glorifiant le passé militaire du Brésil, souhaitant même un retour aux années de la dictature. Selon lui, seul un pouvoir autoritaire permettra de régler les problèmes du Brésil et pourra le purger de ses éléments les plus dangereux : les syndicats, les journalistes, les militant-e-s associé-e-s au PT et… les enseignant-e-s. En effet, Bolsonaro a choisi son cheval de bataille : l’éducation.
Pendant la campagne, il a promis de mettre en place les propositions d’un groupe de pression appelé Escola sem partido (École sans partisanerie) qui propose de « dépolitiser l’éducation nationale » - de la maternelle à l’université - estimée corrompue par les idées du pédagogue critique brésilien Paulo Freire. Dès les premières heures suivant l’élection, une députée de l’État de Santa Catarina (bastion électoral de Bolsonaro) invitait les étudiant-e-s à filmer et à dénoncer tout-e professeur-e qui critiquerait les politiques et/ou le nouveau président, instaurant un climat de peur dans les universités brésiliennes et rappelant les années sombres de la dictature.
Sur Twitter, le président désigné annonce son projet de transformer l’éducation nationale en affirmant le 2 novembre dernier que « Depuis plusieurs années, nos institutions d’enseignement ont été prises en otage par des idéologies nocives et contraires à nos valeurs et par des individus qui détestent nos couleurs et notre hymne ». Pour ce faire, son choix de ministre de l’Éducation s’est arrêté sur un anti-marxiste notoire, Ricardo Vélez Rodríguez, qui du même souffle a promis de mettre fin à cette « hégémonie politique » au sein de l’école. Le message est clair : il est dorénavant suspect d’évoquer, dans l’ensemble des structures éducatives, la question des inégalités sociales et ce, paradoxalement, dans une des démocraties les plus inégales au monde.
Cette stratégie n’est pas anodine. Dès son entrée au pouvoir, Lula avait lui-même fait de l’éducation un axe important de sa politique à travers, entre autres, deux mesures. La première consistait à offrir des revenus supplémentaires aux familles pauvres dont les enfants fréquentaient à l’école, alors que la deuxième reposait sur le développement d’un vaste réseau d’universités fédérales pour démocratiser les études postsecondaires.
En s’attaquant ainsi à l’éducation, Bolsonaro vise un des piliers des politiques du PT. Mais du même coup, il cherche à agir sur le long terme en, comme le propose Escola sem partido, « déprogrammant » la jeunesse brésilienne et en édulcorant son esprit critique. N’est-ce pas là une excellente façon de perpétuer ces inégalités? Longtemps réservée à la gauche, l’éducation est maintenant mobilisée par les populistes réactionnaires, non seulement pour y effectuer des coupures drastiques, mais également en tant qu’outil dans la lutte pour le pouvoir. Ainsi, cette dépolitisation de l’éducation est un leurre; cette dernière est dorénavant mobilisée dans la mise en œuvre d’une idéologie réactionnaire, voire fascisante.