Par Jean-MArc Lord. Collaboration Spéciale.
Comment expliquer que des milliers de Guatémaltèques se joignent aux caravanes de migrants en route vers les États-Unis? Car la route empruntée par ces caravanes est longue (plus de 4000 km) et les embûches nombreuses. Il y a les criminels qui n’attendent qu’une occasion pour les rançonner. Il y a aussi la faim et la soif, la fatigue, la maladie et les blessures possibles. Et au bout de la route, il y a enfin la volonté de Donald Trump de ne pas les laisser entrer…
Une histoire qui laisse des marques profondes
Déjà marqués au fer rouge par l’inhumaine et violente colonisation espagnole, les Guatémaltèques subissent depuis les années 1850 la mainmise des États-Unis sur leur pays. Les gouvernements qui se succèdent au Guatemala depuis ce temps sont à peu près tous des pantins des États-Unis et de leurs compagnies. L’exemple le plus éloquent est sûrement le coup d’État de 1954.
Cette année-là, la très puissante United Fruits Company fait la pluie et le beau temps au Guatemala depuis plusieurs décennies en ayant le monopole de l’exportation de bananes. Lorsque le nouveau président du Guatemala décide d’instaurer une taxe sur les exportations et de nationaliser les terres inutilisées de la United Fruits, la compagnie fait alors appel au gouvernement des États-Unis pour le renverser. Facile quand le directeur de la CIA et le ministre des Affaires étrangères des États-Unis sont frères… et actionnaires de la United Fruits Company.
Organisé et financé par la CIA, le coup d’État de 1954 remplace donc un président trop préoccupé du sort des paysans et des plus pauvres par un autre plus accommodant envers la United Fruits Company. S’en est suivi une terrible guerre civile qui fit entre 100 000 et 200 000 morts entre 1960 et 1996, dont 93 % d’entre elles qui ont été attribués aux forces gouvernementales.
Une pauvreté incroyable
Le Guatemala est l’un des pays les plus inégalitaires au monde. Dans ce pays d’environ 14,5 millions d’habitants, l’essentiel de la richesse est en effet concentré entre les mains d’une minorité de gens très riches, alors que la majorité de la population vit dans le dénuement. Environ 41 % de la population du pays est composée d’Autochtones et c’est précisément dans ce groupe que l’on retrouve la plus grande pauvreté. La plupart des habitants sont paysans ou ouvriers agricoles et leurs revenus sont à peine suffisants pour nourrir leur famille. Dans ces conditions, l’école est souvent inaccessible, les soins de santé inexistants et la justice une vraie farce. Juges et policiers sont sous-payés et arrondissent leurs revenus en monnayant leur clémence. Avec un tel système les pauvres sont toujours perdants et les riches rarement inculpés. Comme ses voisins, le Guatemala souffre lui aussi de taux de criminalité et de violence insoutenables, alors que 98 % des meurtres ne font l’objet d’aucune enquête.
Un avenir bloqué
Vivre au Guatemala, c’est donc être livré à la cupidité et à l’insensibilité de multinationales (parfois canadiennes) qui ont les moyens d’acheter des politiciens. Travailler au Guatemala c’est s’échiner 12 heures par jour dans des conditions effroyables pour un salaire de misère. Avoir des enfants au Guatemala, c’est accepter d’en voir mourir quelques-uns faute d’avoir les quelques dollars nécessaires pour payer le traitement qui les guérira. Pour une grande partie de la population, rester au Guatemala c’est se résigner à une vie où il est impossible d’imaginer que ses enfants et petits-enfants puissent avoir un futur meilleur. L’avenir est bloqué, le désespoir permanent et il y a 1000 raisons de quitter ce pays. Ni terroristes ni criminels, les migrants ne sont que des femmes, des enfants et des hommes dont le seul espoir d’échapper à une vie misérable consiste à parcourir 4000 km (souvent à pied) vers le nord en espérant qu’on voudra bien les accueillir.
Légende photo: Les migrantes et migrants guatemaltèques ne sont ni des criminel, ni des terroristes, mais seulement des femmes, des enfants et des hommes qui fuient des conditions de misère et dont le seul espoir d’un avenir meilleur consiste à parcourir 4000 km, souvent au péril de leur vie.