par Alice Grinand. Collaboration spéciale.
L’affaire Khashoggi a récemment fait la manchette des journaux. Journaliste et opposant au régime saoudien, Jamal Khashoggi a été assassiné le 2 octobre dernier dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, en Turquie. D’un affrontement diplomatique entre le président turc, Recep Tayyip Erdogan, et le prince héritier Mohammed Ben Salman, l’affaire Khashoggi s’est transformée en un détonateur diplomatique pour la région.
Depuis le 2 octobre, date de la disparition de Jamal Khashoggi, les réseaux diplomatiques du Moyen-Orient s’affolent. Où est passé ce journaliste, qui dénonce régulièrement le régime saoudien et qui collabore, entre autres, au Washington Post? Si son assassinat a depuis été confirmé par le régime saoudien, les responsables sont toujours recherchés, tout comme le corps du défunt. Mais ce meurtre a semé une zizanie diplomatique entre les acteurs régionaux et internationaux de la région.
Ainsi, en orchestrant les fuites dans les journaux et en livrant au compte-gouttes des détails scabreux, la Turquie est soupçonnée d’instrumentaliser cette affaire. Il semble que l’objectif d’Ankara soit de renforcer son influence dans la région en affaiblissant l’Arabie saoudite et en la décrédibilisant aux yeux de ses alliés occidentaux.
La manœuvre porte ses fruits, puisque Riyad a finalement été amenée à reconnaître le meurtre de Khashoggi tout en tentant de minimiser son implication. Les puissances occidentales exigent depuis de leur allié saoudien de faire la lumière sur cet assassinat, et à ce jour, 11 membres présumés du commando ont été accusés par la justice saoudienne.
Les puissances occidentales semblaient jusque-là s’accommoder des abus de Riyad. Néanmoins, cet « ami » et allié, qui achète des milliards de dollars en armement chaque année, paraît de moins en moins fréquentable. Ainsi, les États-Unis ont annoncé la fin du ravitaillement des avions de la coalition, menée par l’Arabie saoudite, contre les combattants houtistes du Yémen. Du côté canadien, Justin Trudeau a annoncé vouloir reconsidérer les permis d’exportation d’armes vers le royaume saoudien. Toutefois, la livraison de 15 milliards de dollars d’équipements militaires n’a pas encore été annulée.
Un mois et demi plus tard, l’affaire Khashoggi n’est toujours pas éclaircie. Elle a néanmoins permis d’attirer l’attention sur le conflit au Yémen, dont la situation est catastrophique. Déclaré pire crise humanitaire au monde par l’ONU, le Yémen est, depuis 2015, le théâtre d’une intervention militaire menée par une coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Les chiffres de cette guerre sont sans appel : 75% de la population yéménite nécessite aide et protection, tandis que près de 8,5 millions d’habitant-e-s sont en situation d’insécurité alimentaire grave. Si la situation se maintient, l’ONU craint que ce chiffre ne monte à 14 millions. En 3 ans, près de 10 000 personnes ont perdu la vie. La coalition de Riyad est en outre régulièrement accusée de crimes de guerre dans ce conflit.
Depuis la disparition de Khashoggi, les appels au cessez-le-feu et à une résolution pacifique du conflit se font plus insistants. Ainsi, Washington, par le truchement de Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, a par exemple appelé à la fin des hostilités, lors d’une conversation téléphonique avec Mohammed Ben Salman autour de l’affaire Khashoggi.
L’affaire Khashoggi a ainsi transformé, auprès de l’opinion publique occidentale, cette guerre oubliée en guerre sale. Et peut-être allumé une lueur d’espoir pour des négociations de paix?
Légende : La disparition de Jamal Khashoggi a mis en lumière non seulement les agissements barbares et rétrogrades de la monarchie saoudienne envers ses opposants, mais également les atrocités qu’elle commet en ce moment même au Yémen.