La retraite (russe) des acquis sociaux

par thibault finet. collaboration spéciale.


2018 a été marqué en Russie par le Mondial de football, la réélection de Vladimir Poutine et par le projet de réforme des retraites. Dans un pays où le gouvernement élimine depuis des années les acquis sociaux issus de la période soviétique, la hausse de l’âge des départs à la retraite a provoqué une vague de manifestations de grande ampleur dans le pays.

La question des retraites et de la santé publique en Russie

Fixé en 1932 pendant la période soviétique, l’âge du départ à la retraite était de 60 ans pour les hommes et de 55 ans pour les femmes. Jamais les dirigeants russes n’étaient revenus sur ce seuil « avantageux » comparativement au reste du monde occidental. Or, quelques heures à peine avant le début de la Coupe du monde, Vladimir Poutine a profité de ce moment d’euphorie collective pour annoncer le projet de réforme des retraites, visant à faire passer l’âge du départ à la retraite à 60 ans chez les femmes et à 65 ans chez les hommes. La loi sera signée début octobre par le président Poutine.

Seulement voilà, l’espérance de vie des hommes en Russie demeure basse (66,5 ans) comparativement à celui des femmes (76,6 ans) en partie à cause du fléau de l’alcoolisme : la moitié des décès enregistrés avant l’âge de 55 ans chez les hommes met en cause l’alcool et 42% des hommes meurent avant l’âge de 65 ans. Sur le plan démographique, ces chiffres situent la Russie au même niveau de mortalité que les pays africains. Il faut ajouter à cela des pensions trop basses pour vivre décemment (à peine plus de 200$ mensuel) et, bien souvent, les retraité.e.s continuent à travailler pendant leurs vieux jours pour arrondir les fins de mois.

Protestations à travers le pays

Beaucoup de Russes voient donc cette réforme comme une atteinte à leur qualité de vie qui est déjà précaire pour les moins nantis. L’opposant Alexei Navalny, qui est un personnage controversé, a appelé à des protestations pour dénoncer la corruption de l’oligarchie et le démantèlement des acquis sociaux, actions pour lesquelles il a été emprisonné. Ainsi, des milliers de militant.e.s se sont rassemblés au bureau de Vladimir Poutine à Moscou le 3 octobre dernier pour déposer une pétition contre le projet de loi, signée par plus d’un million de personnes. Rappelons que le pays connaît une crise démographique depuis l’effondrement de l’URSS et peine à renouveler sa population active en dépit des politiques d’immigration mise en place par le gouvernement. Ce déséquilibre entre la population active et les couches vieillissantes de la population pose le problème majeur du financement des fonds de retraite quasi inexistants en Russie. Or, le pays connaît un parcours similaire aux économies occidentales qui visent le déficit 0, l’équilibre les finances et la privatisation des services publics au détriment bien sûr, du financement de l’État social.

Les manifestations de ces derniers jours font d’ailleurs suite aux résultats des élections provinciales du 23 septembre qui ont dérouté quatre candidats du régime. La grogne s’installe bel et bien au pays de Poutine.


Légende: L’avocat et opposant du régime Alexei Navalny milite pour les droits humains en Russie. Navalny qui est un personnage controversé en raison de ses positions nationalistes, a été emprisonné deux fois en 2018 pour son engagement politique.

Crédit : wikimedia Commons.