par alice grinand. collaboration spéciale.
La Jordanie semblait faire figure d’exception dans un Moyen-Orient balayé par l’instabilité. Pourtant, une vague de contestation populaire traverse actuellement le pays.
Ce royaume de presque 10 millions d’habitants souffre peut-être d’un équilibre plus fragile qu’il n’y parait. En effet, depuis la fin du mois de mai, un mouvement populaire de protestation s’est fait entendre par des manifestations pacifiques et quotidiennes, notamment dans la capitale, Amman, mais aussi dans d’autres villes du pays.
C’est un projet de loi, qui élargit l’imposition aux salaires modestes et augmente le taux d’imposition pour les entreprises et certains particuliers, qui a mis le feu aux poudres. Néanmoins, le fruit de la discorde est plus large que cette réforme fiscale, dictée par le Fonds monétaire international (FMI).
Celui-ci contraint la Jordanie, en échange d’un prêt de 723 millions de dollars sur trois ans accordé en 2016, à des réformes structurelles pour relancer l’économie en berne du pays, violemment touché par la crise économique de 2008 mais aussi lesté par un accueil massif de réfugiés, et à une réduction de la dette publique à 77 % du PIB d’ici à 2021, contre 94 % en 2015.
À cause de la fin de subventions publiques pour se plier aux exigences du FMI, le prix de produits de première nécessité, comme le pain, l’essence ou le gaz, a explosé, alors que le pays accuse un taux de chômage de 18,5%, et qu’une personne sur 5 vit sous le seuil de pauvreté. Même les classes moyennes peinent à joindre les deux bouts. Le projet de réforme fiscale a été la goutte d’eau qui a déclenché cette contestation sociale.
Un rôle clé au Moyen-Orient?
Pour calmer la grogne et donner suite aux revendications du peuple, le roi Abdallah II a exigé la démission du Premier ministre, Hani Moulki. Son successeur a abandonné le projet de loi. Tandis que l’Union européenne a promis 200 millions d’euros au pays pour apaiser la population, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït se sont empressés de secourir le royaume hachémite en lui accordant une enveloppe de 2,5 milliards de dollars.
Pourtant, le royaume saoudien avait dernièrement réduit de beaucoup son soutien au royaume jordanien l’accusant d’un manque d’enthousiasme envers ses directives et ses volontés de contrôle de la région. Le retour si prompt de l’aide saoudienne témoigne de craintes d’une contagion de la contestation, comme celle des Printemps arabes qui avait ébranlé les pays de la région en 2011.
Mais la valeur politique de la Jordanie dans l’ordre régional, et donc les aides extérieures qui garantissent l’équilibre du royaume, semble de plus en plus fragile. La Jordanie s’était notamment assuré le soutien financier des États-Unis en signant un accord de paix avec Israël, malgré la forte population palestinienne qui vit sur son territoire. Alors que Washington, soutenu par l’Arabie saoudite, ne cache pas son inclinaison pro-israélienne, comment le roi Abdallah II, gardien officiel des lieux saints de l’islam à Jérusalem, pourra-t-il conserver sa crédibilité?
Légende: Le roi de Jordanie, Abdallah II, a demandé le départ du Premier ministre pour apaiser la contestation sociale, tandis que l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweit ont offert une aide de 2,5 milliards de dollars. Le prix pour éviter une contagion de ce mouvement populaire?