Par Isabelle Blanchette et Chantal Ingabire. Collaboration spéciale.
Au cours des conflits, les femmes portent un double fardeau: victimes de la guerre, leur condition de femmes les rend encore plus vulnérables aux violences. Le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 a fait près d’un million de mort, dans un pays comptant environ 7 millions d’habitants, pour un territoire de 26 000 km2 (soit environ 2% de la taille du Québec). Le viol y a été massivement utilisé comme arme de guerre et instrument de nettoyage ethnique.
Est-ce que les femmes ont vécu le génocide différemment des hommes?
Le viol a été utilisé systématiquement comme méthode de génocide. Entre 100 000 et 250 000 femmes ont été violées, principalement par les groupes de miliciens - les Interhamwe. S’attaquer à la femme tutsie représentait une façon de saboter l’ensemble de l’organisation familiale et sociale; interrompre la transmission culturelle et anéantir le groupe méprisé.Souvent les femmes étaient violées publiquement, devant leur mari, leurs parents, leurs enfants, pour ajouter à l’horreur et détruire psychologiquement l’ensemble de la famille et de la communauté. Plusieurs ont été victimes de mutilations génitales ou réduites à l’esclavage sexuel; certaines ont utilisé ceci comme stratégie de survie.
Est-ce que les femmes ont participé au génocide?
Les Interhamwe qui « effectuaient le travail » étaient composés exclusivement d’hommes. Cependant, il est difficile d’estimer le rôle des femmes, plus en retrait, qui ont pu soutenir et encourager les meurtres. Il existe des anecdotes troublantes de femmes hutues ayant tué leurs propres enfants, nés de pères tutsis.
L’immense majorité des génocidaires reconnus coupables par les tribunaux sont des hommes; avec quelques exceptions très médiatisées. Pauline Nyiramasuhuko, ironiquement anciennement ministre de la Famille et de la promotion de la femme, a été reconnue coupable de génocide par le Tribunal Pénal International pour le Rwanda, principalement pour l’incitation au viol systématique.
Quelles ont été les conséquences du génocide pour les femmes?
Globalement, le génocide pèse encore aujourd’hui très lourd sur la vie des femmes. On estime que 70% des femmes ayant été violées lors du génocide ont contracté le Sida. Un grand nombre de femmes se sont retrouvées veuves, chefs de familles monoparentales nombreuses. Plusieurs ont recueilli des orphelins. Certaines femmes victimes d’esclavage sexuel lors du génocide ont été mariées à leur bourreau. Pour ces femmes le viol se prolonge toute une vie.
Comment les femmes vivent-elles avec leurs enfants issus du viol?
Il existe autant de façon de le vivre qu’il existe de femmes. Certaines le voient comme un rappel que même des expériences les plus horribles peuvent surgir de belles choses. Certaines voient l’enfant comme une personne partageant la même souffrance et le même destin qu’elles. D’autres rejettent ces enfants; les voient comme un poison ou un rappel quotidien de l’existence de leur bourreau et du viol.
Légende: En 1994, au Rwanda, lors du génocide des Tutsis par les Hutus, le viol a été massivement utilisé comme arme de guerre et instrument de génocide: entre 100 000 et 250 000 femmes ont été violées.