par alice grinand. collaboration spéciale.
Le 4 novembre dernier, Saad Hariri, le Premier ministre libanais, prenait le monde entier par surprise en annonçant sa démission depuis Riyad, la capitale d’Arabie Saoudite. Cet événement, assez inédit dans les relations internationales, a soulevé de nombreuses interrogations. Saad Hariri, qui a évoqué craindre pour sa vie pour justifier son geste, a-t-il quitté ses fonctions de son plein gré, ou sous pression saoudienne?
Le Liban, une nation multiculturelle?
La pluralité confessionnelle du pays est reconnue par sa Constitution, et se traduit notamment par un système de partage du pouvoir entre communautés. Ainsi, le poste de chef de l’État revient à un chrétien maronite, celui de président du Parlement à un chiite et celui de Premier ministre, jusqu’ici Saad Hariri, à un sunnite.
Pour de nombreux observateurs, la stabilité du Liban relevait du miracle : en plus d’une situation économique préoccupante et de nombreuses divisions politiques internes, la géopolitique régionale est chaotique : la guerre en Syrie, un afflux régulier de milliers de réfugiés ou encore la proximité du conflit israélo-palestinien. Et surtout, une « guerre froide » entre les deux géants de la région, l’Arabie Saoudite et l’Iran. Il est donc légitime que la démission de Saad Hariri soulève des inquiétudes pour la stabilité du pays.
Dans quel contexte international a eu lieu cette démission?
La situation géopolitique du Moyen-Orient est tellement complexe qu’un tel événement peut facilement faire effet boule de neige, et il peut s’avérer difficile de comprendre tous les tenants et les aboutissants d’une situation précise.
Lors de sa démission, Saad Hariri, qui possède la double nationalité libanaise et saoudienne, a également accusé le Hezbollah et l’Iran d’avoir une mainmise sur le Liban. Le Hezbollah constitue en effet une force politique et militaire incontournable dans le pays, mais également reconnue pour être soutenue par l’Iran, le chef de file chiite de la région, tandis que l’annonce de cette démission depuis la capitale saoudienne interroge l’influence de l’Arabie Saoudite, chef de file sunnite, sur cette décision.
Quelle est cette « guerre froide » du Moyen-Orient?
La démission de Hariri s’inscrit ainsi dans un contexte tendu entre l’Arabie Saoudite, sunnite, et l’Iran, chiite. Les deux pays ont rompu toute relation diplomatique depuis janvier 2016. Les deux puissances s’affrontent déjà par l’intermédiaire de conflits armés au Yémen et en Syrie notamment, mais aussi sur le front diplomatique, à travers la crise avec le Qatar, dont l’Arabie Saoudite reprochait la trop grande proximité avec l’Iran.
L’Arabie Saoudite est un allié essentiel de la politique de défense américaine dans cette région du monde. On peut donc également interroger le rôle des États-Unis, qui, à l’ère de Donald Trump, ont axé leur politique étrangère sur une diabolisation de l’Iran, que les dirigeants saoudiens ont pu percevoir comme un encouragement.
Quelles seront les conséquences de cette démission?
Difficile de prédire l’avenir. Au sein même du pays, le patriotisme libanais semble l’avoir emporté sur les querelles confessionnelles, et « l’enlèvement » de leur premier ministre a été très mal perçu. Les forces politiques, le Hezbollah en tête, appellent également à un retour du premier ministre démissionnaire, dénonçant une ingérence de Riyad. Le Hezbollah a en effet tout intérêt à un retour de Saad Hariri, d’une part puisqu’il garantit la stabilité des institutions et de la répartition communautaire du pays, d’autre part car le Hezbollah dispose d’un rôle prédominant dans la coalition gouvernementale.
De plus, la mission de remplacer Hariri n’est pas simple, et les candidats sunnites modérés qui conviendraient à tous les acteurs de cet événement, l’Arabie Saoudite en tête, sont bien peu nombreux.