ETHIOPIE - LE NOUVEL ELDORADO, MAIS POUR QUI?

Par René Lord, collaboration spéciale


Un petit garçon noir rachitique, aux bras comme des cure-dents, aux côtes saillantes, incapables de chasser les mouches qui lui collent au front, c’est l’image que l’on garde de l’Éthiopie. Aujourd’hui, revirement de situation, on associe l’Éthiopie à un nouvel Eldorado. Mais pour qui ?

Ce pays de l’Est africain, le deuxième plus peuplé du continent avec ses 99 millions d’habitants, on en entendait parler seulement quand les grandes sécheresses dévastaient les terres, réduisant le peuple à la famine. Des famines, il y en a encore, comme celle survenue en 2015. Malgré les 15 millions de personnes touchées, elle n’était sans doute pas assez catastrophique pour faire la manchette.

La pauvreté sévit toujours. Mais de moins en moins, croirait-on. Le PIB a fait un bond de 10 % au cours des dernières années. Une croissance enviable, mais quand vous partez de loin, avec 10 % de plus vous êtes encore pauvres.

Il y a donc une réalité nouvelle en Éthiopie, une réalité qui nous rejoint jusque chez nous chaque fois que l’on achète de nouvelles chaussures Naturalizer, Guess ou Clarks par exemple. Ces produits font partie du nouvel élan manufacturier qui, avec des travaux publics d’envergure, propulse le PIB. Des compagnies chinoises, suédoises, turques débarquent en Éthiopie pour produire massivement des items de luxe, chaussures et vêtements, pour des sociétés américaines ou européennes.

Pourquoi ces compagnies viennent-elles s’établir en Éthiopie ? D’abord parce que les matières premières y sont abondantes : vastes champs de coton, immense cheptel pour le cuir. Ensuite, et surtout, la main-d’œuvre nombreuse et affamée ne coûte presque rien. Un ouvrier éthiopien gagne 10 fois moins que son homologue chinois. C’est dire. En fait, Forbes rapporte un salaire mensuel moyen de 50 $ contre 450 $ à 500 $ en Chine.

Un régime au service des entreprises

Le gouvernement en place fait tout pour attirer les entreprises étrangères. Il rejette d’abord les lois du travail auxquelles nous sommes habitués : salaire minimum, heures supplémentaires rémunérées, conditions de santé et sécurité, respect de l’environnement. Et, bien sûr, le régime déverse sur les investisseurs une cascade de privilèges, notamment des mesures fiscales très avantageuses. De plus, la terre, l’eau et l’électricité sont offertes à prix ridicule.

On comprend que de telles mesures favorisent le développement manufacturier au pays. De fait, les entreprises croissent comme des champignons. La société chinoise Huajian, par exemple, compte maintenant 4 500 employés dans ses trois usines éthiopiennes. Elle produit chaque année entre 1,5 et 2 millions de paires de chaussures pour femmes de marques connues et promet de créer jusqu’à 30 000 emplois en dix ans.

Une autre condition essentielle au développement économique demeure la stabilité sociale et politique. Le gouvernement « démocratique », élu sans interruption depuis 25 ans avec des scores supérieurs à 90 %, s’emploie à créer cette indispensable stabilité. En réalité, il combat violemment toutes formes de contestation. Résultat : des organismes comme Human Rights Watch, ou Amnistie internationale, dénoncent des violations constantes des droits de la personne.

Par exemple, des mouvements régionaux, qui s’opposent aux visées du gouvernement sur leurs territoires, sont durement réprimés. Les forces de l’ordre seraient responsables de 800 morts en en un an selon Amnistie internationale. Tirs à balles réelles contre des manifestants, meurtres, arrestations arbitraires, tortures, restrictions à la liberté d’expression, intimidation à l’endroit des membres de l’opposition et des journalistes sont rapportés de façon régulière. Une telle dictature est-elle indispensable pour assurer le développement du pays ? Chose certaine, elle procure l’environnement recherché par certains.

Le monde s’étonne de la rapide croissance économique de l’Éthiopie. Nouveau Bangladesh, usine du monde, Eldorado sont des mots entendus pour décrire cette effervescence. Si Eldorado il y a, il l’est certainement pour les investisseurs. Mais le travailleur éthiopien, lui, devra attendre des décennies pour profiter des avantages que déjà ses collègues chinois commencent à obtenir.


Crédit photo: Wikimédias Commons