par olivier gamelin, collaboration spéciale
Bienvenue dans un pays qui n'existe pas
Curieusement, le pays n’existe pas…depuis un quart de siècle. Sur les mappemondes modernes, le Somaliland ne paraît nulle part. Jamais vous ne verrez un passeport aux couleurs de cet « État » sans drapeau au concert des nations et sans monnaie nationale transférable à l’étranger. Néanmoins, ce territoire « en quarantaine », situé au nord-est de la Corne africaine, existe bel et bien. Visite guidée d’un pays de quatre millions d’habitants, non reconnu par la communauté internationale, mais dont les institutions démocratiques tournent rond. Un merle blanc, en somme, au cœur d’une région instable et explosive.
Le 18 mai dernier, le Somaliland soufflait 25 bougies d’indépendance, à l’ombre du chaos où s’enlise son voisin du sud, une Somalie en ruine soumise aux aléas destructeurs des extrémistes religieux. D’abord couvert sous l’égide de l’Union Jack jusqu’en 1960, puis attaché à la Somalie jusqu’en 1991, c’est au tournant d’une guerre civile meurtrière que ce petit « État » autoproclame son indépendance. Une guerre civile qui, rappelons-le, a quasiment rayé de la carte la capitale officieuse somalilandaise, Hargeisa. Bilan : 50 000 personnes tuées et un demi-million de civils jetés sur les routes de l’exil.
Depuis 1991, malgré une constitution démocratique qui a fait ses preuves et trois élections libres (la prochaine doit se dérouler en avril 2017), en dépit d’une liberté de presse et d’une liberté d’expression de facto, malgré une stabilité sociale enviable dans la Corne de l’Afrique, le Somaliland peine à dénicher des partenaires étrangers qui lui permettraient de développer des infrastructures à la hauteur de ses ambitions. En effet, ni la Banque mondiale, ni la Banque africaine de développement, ni même le Fonds monétaire international acceptent d’ouvrir leurs coffres à cet «État » viable, certes, mais au statu incertain.
Outre via la reconnaissance internationale, l’avenir économique du Somaliland repose en partie sur la modernisation de son principal port en eau profonde, Berbera. Ce point de départ des exportations de bétail vers l’Arabie saoudite, voire ce point d’arrivée des importations éthiopiennes pourrait, à moyen terme, devenir le deuxième plus important port international de la région, après Djibouti. Le hic : aucune route n’est actuellement carrossable pour permettre le va-et-vient constant des camions lourds… En mai dernier, un accord de 400 millions $ étalé sur 30 ans était signé entre les autorités somalilandaises et la compagnie Dubaï Port World. Une collaboration plutôt naturelle puisque 86% des exportations en destination du Somaliland aboutissent aux berges de la péninsule arabique.
La route de l'indépendance
Quel futur possible pour un pays qui n’existe pas? Depuis un quart de siècle, le chemin est long sur la route de l’indépendance du Somaliland. Bien que le pays autoproclamé paraphe de plus en plus d’ententes commerciales avec, entre autres, l’Afrique du Sud, l’Éthiopie, la Suisse ou l’Arabie saoudite, l’Union africaine (UA) refuse toujours de reconnaître cet « État » comme entité à part entière. Et ce malgré un rapport positif déposé en 2005 par l’UA elle-même, mais aussitôt tabletté. « La recherche de reconnaissance du Somaliland est historiquement unique et justifiée dans l’histoire politique africaine. Ainsi, l’UA devrait trouver une méthode spécifique pour gérer ce cas à part. »
Pourtant, le Somaliland satisfait aux critères de la Convention de Montevideo qui, en droit international, détaille les grandes lignes d’un état souverain : une population permanente, un territoire défini (à l’intérieur des frontières de l’ancien protectorat britannique), un gouvernement qui exerce un contrôle sur l’ensemble de son territoire, ainsi qu’une capacité à établir des relations avec les autres États. Notons à ce propos que le Somaliland dispose déjà de bureaux diplomatiques en Éthiopie et à Djibouti.
En l’absence de reconnaissance internationale, entrave majeure au développement économique et social, les observateurs sont nombreux à craindre que les 70% de jeunes somalilandais actuellement au chômage n’entrouvrent par dépit la porte du pays à l’islam radical. Et de fait, les Shebabs, ces extrémistes somaliens partisans de la révolution islamique mondiale, se rapprochent à pas de loup des frontières de ce petit « État »…qui n’existe pas.