par olivier gamelin
coordonnateur des communications au cs3r
Un peu plus d’un an de guerre et déjà le pays est à feu et à sang. Frisant le précipice de la crise humanitaire. Inlassablement pilonné par une coalition arabe (d’allégeance sunnite) menée par l’Arabie saoudite, le Yémen s’enfonce dans un véritable bourbier. État de situation d’une guerre oubliée qui peine à dire son nom sur la scène internationale.
À l’instar du printemps arabe, le « printemps yéménite » n’aura duré que l’espace d’une saison. Au sud de la péninsule arabique, les fleurs de jasmin se sont fanées, rapidement supplantées par le métal glacial des bombardements aériens. En 2011, alors qu’un souffle de liberté parfume le Moyen-Orient, le pouvoir yéménite subit une forte pression populaire, provoquant le départ du président Ali Abdallah Saleh. Durant trois ans, le gouvernement de transition semble incapable de résoudre les problèmes socio-économiques du pays, si bien qu’en 2014 les Houthistes, issus de la minorité zaydite d’obédience chiite (un tiers de la population), soulèvent leurs armes et occupent la capitale, Sanaa. S’en est trop pour l’Arabie saoudite qui, en mars en 2015 et avec l’aval de la communauté internationale, déclenche de sanglantes hostilités pour rétablir sur son trône dictatorial le pouvoir yéménite…sunnite évidemment!
Un an et des poussières de bombardement auront réussi non pas à renverser les rebelles houthis, mais plutôt à détruire le pays de fond en comble. « Après cinq mois [de bombardement], le Yémen ressemble à la Syrie depuis cinq ans », résume Peter Maurer, président du comité international de la Croix-Rouge. Une vision partagée par Amnistie internationale, qui condamne à tout rompre des atteintes répétitives aux droits humains et des crimes de guerre perpétrées par tous les partis impliqués. Entre autres, notons l’utilisation aveugle de bombes à fragmentation, d’explosifs à large champ d’action, de mines anti personnels, voire d’attaques lancées à proximité d’écoles, d’hôpitaux ou de zones densément peuplées, d’exécutions sommaires, d’enlèvements, de détentions arbitraires, de torture, etc.
En bout de piste, la population, prise entre deux feux, est la première victime de cette anarchie passée sous les radars de l’indignation sélective occidentale. Aujourd’hui, 83% des Yéménites survivent grâce à l’aide humanitaire, une aide qui peine à se rendre à bon port puisque la coalition arabe et/ou les Houthis assiègent les principales villes du pays. Le bilan sommaire est désastreux : entre 4000 et 6000 personnes décédées (la moitié parmi les civils), dont près de 700 enfants, 30 000 blessés, sans compter les 2,5 millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays (près de 10% de la population). Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation, 14 millions de Yéménites se trouvent actuellement dans une situation d’insécurité alimentaire et de malnutrition « qui s’aggrave de jour en jour ».
Les armes occidentales
Depuis 2015, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Espagne, la France, l’Italie et les Pays-Bas ont transféré pour 25 milliards $ d’armement vers l’Arabie saoudite. Missiles, drones, torpilles, roquettes, autant d’explosifs qui s’abattent quotidiennement sur la tête de la population civile yéménite. Et si rien n’indique que le matériel militaire que le Canada a vendu à Ryad a été utilisé au Yémen, rien ne prouve le contraire non plus. Rappelons qu’en 2014, Ottawa paraphait un contrat de 15 milliards $ d’armement avec l’Arabie saoudite.
« Le monde a tourné le dos au peuple du Yémen, et de nombreux États contribuent à sa souffrance, en fournissant des armes et des bombes qui servent à blesser et tuer des civils et à détruire des logements et des infrastructures, en toute illégalité. Nous sommes face à une catastrophe humanitaire [au Yémen] », se désole Brian Wood, responsable des questions liées au contrôle des armes et aux droits humains au sein d’Amnistie internationale.
Alors que les pays occidentaux ont cadenassé leur ambassade au Yémen, alors que les États-Unis et leurs alliés, dont le Canada, sont liés par des contrats commerciaux d’armement avec l’Arabie saoudite, alors que le groupe État islamique profite de l’instabilité étatique du pays pour renforcer son pouvoir déstabilisateur, alors même que le Conseil de sécurité de l’ONU semble se désintéresser de la situation, on peut se demander quelle sortie d’urgence pourrait mettre fin au conflit yéménite? Pour l’heure, faisant écho à la communauté internationale, les optimistes sont peu nombreux et se contentent d’attendre silencieusement la prochaine vague de réfugiés qui, sans conteste, pourrait bien venir non plus de Syrie mais…du Yémen.