pAR cLAUDE lACAILLE, COLLABORATION SPÉCIALE
Élections présidentielles 2016
Le 5 juin 2016, les Péruviens seront appelés à se rendre aux urnes, dans le cadre du deuxième tour des élections présidentielles. Entre autres candidats en lice : Keiko Fujimori, en tête des sondages, fille d’Alberto Fujimori, un populiste qui dirigea le pays andin avec une main de fer de 1990 à 2000. À ses côtés, quasi au coude à coude, Pedro Pablo Kuczynski, économiste, ancien ministre des finances, surnommé PPK. Jetons un regard sur cette importante élection qui se déroulera dans le troisième plus grand pays d’Amérique du Sud.
Keiko a fait campagne en mettant l’accent d’abord sur son prénom, car le nom de son père divise encore profondément la nation, et pour cause. Rappelons qu’Alberto Fujimori avait été forcé de démissionner en 2000 après avoir été accusé de très graves crimes de corruption et de détournement de fonds publics. Qui plus est, il purge présentement une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement pour crimes contre l'humanité. En effet, M. Fujimori a été reconnu coupable de deux massacres perpétrés en 1991-1992 par des escadrons de la mort placés sous ses ordres.
Revers de la médaille, durant son mandat, le dictateur a réussi à annihiler le mouvement terroriste Sentiers lumineux qui, durant une douzaine d’années, mena une guerre sans merci contre l’État et la société péruvienne, commettant d’horribles crimes de lèse-humanité. À cette époque, autant la violence terroriste que la guerre sale menée par le gouvernement avaient brutalisé le pays et provoqué des dizaines de milliers de victimes parmi les paysans, les partis de gauche, les syndicats, les organisations populaires, etc. Malgré ce bain de sang, beaucoup de Péruviens applaudissent encore la sécurité que ce régime ramena dans leur village, ainsi que le développement économique du pays, l’un des plus forts de la région.
Richesses naturelles et services sociaux
Sur la scène économique, quel que soit l’issue de ce scrutin, le prochain chef d’État suivra vraisemblablement le modèle néolibéral établi, légiférant en faveur des multinationales qui opèrent dans le pays. Sur ce sujet, les programmes des deux candidats ne diffèrent pas sensiblement ; primauté est accordée au modèle du libre marché, qui a permis au pays d’enregistrer des taux annuels de croissance de 6% durant la dernière décennie, permettant ainsi l’émergence d’une classe moyenne dans les villes et un certain déclin de la pauvreté. Mais si les indicateurs macroéconomiques ont été jusqu’ici encourageants, le prix du panier de provisions, le salaire minimum vital, les emplois décents, l’éducation et la santé publique continuent d’être un casse-tête pour les familles péruviennes condamnées à des conditions de survie. L’actuelle distribution très inégale de la richesse au Pérou provoque de grandes frustrations chez les classes travailleuses.
Le Pérou est un important exportateur d’or, d’argent, de cuivre, de zinc, d’étain, de plomb et de pétrole, activité sur laquelle l’État n’exerce pratiquement aucun contrôle. Les minières pullulent dans ce pays de 30 millions d’habitants, cumulant les profits et stimulant l’économie. Cependant, des 200 000 mineurs péruviens, plus de 130 000 sont à la solde non pas des compagnies, mais de sous-traitants qui offrent des salaires de misère. Des centaines de conflits émergent chaque année dans l'industrie extractive, les travailleurs revendiquant tantôt de meilleures conditions de travail, tantôt la protection de l’environnement ou la santé des populations. Autant de revendications qui mettront à l'épreuve la volonté du prochain gouvernement de Lima, alors que les prix des ressources naturelles sont au plus bas sur les marchés mondiaux.
Les partis qui se disputent le pouvoir seront-ils en mesure de conduire le Pérou vers des politiques qui amélioreraient le mieux vivre de sa population? À l’instar de son père, Keiko Fujimori propose d'accroître la sécurité intérieure du pays. Pour sa part, Pedro Pablo Kuczynski, ancien banquier de Wall Street, apparaît comme la seule force capable d’empêcher la victoire du clan Fujimori. Chose certaine, le gagnant de l’élection du 5 juin aura fort à faire pour réduire la pauvreté dans ce pays où près de 10 millions de personnes n’ont pas de quoi s’offrir le strict nécessaire.