par jean-marc lord, la gazette de la mauricie, décembre 2015
Répondre coup sur coup?
Le premier réflexe lorsqu’on est sauvagement attaqué, c’est de répondre coup sur coup, œil pour œil, dent pour dent. Après les attentats de Paris, et ceux qui lui ont fait écho ailleurs dans le monde, l’Occident a machinalement intensifié ses bombardements contre le commanditaire de ces boucheries : l’État islamique. Pourtant, l’histoire récente démontre qu’en répliquant à la violence par la bouche de ses canons, on ne fait qu’aggraver la problématique générale. Peut-on vaincre l’État islamique? Oui, mais avec quelles armes? Certainement pas les armes à feu.
Le 11 septembre 2001, les deux tours du World Trade Center s’écroulaient sur la vie relativement paisible des Américains. À chaud, le gouvernement de Georges W. Bush criait vengeance et jurait d’avoir la peau d’Oussama Ben Laden. Dans les jours qui suivirent, des bottes militaires made in USA envahissaient l’Afghanistan afin « d’en finir avec le terrorisme ». Depuis, le monde est-il davantage sécuritaire?
À la lumière d’une étude réalisée par le média indépendant Reader Supported News, basée sur les statistiques du Département d’État américain, les actes terroristes ont augmenté dans le monde de…6500 % depuis 2001. Oui, 6500 %! Seulement en Irak, les attaques terroristes sont passés de 208 en 2002 à 11 000 en 2005. Entre ces deux dates, 250 000 GI américains, parmi les 330 000 soldats de la Coalition internationale, débarquaient manu militari au nord de la péninsule arabique. Objectifs : établir l’ordre et la démocratie en Irak et contrer le terrorisme.
Souffler
sur les braises plutôt qu’éteindre le feu
Selon le service de renseignement britannique, « la guerre en Irak est devenue la cause célèbre des djihadistes ». Elle est à la source d’une « nouvelle génération de dirigeants et d’agents terroristes ». Un « effet Irak », en somme, qui s’est répercuté partout au Moyen-Orient, jusque dans les rues de Paris le 13 novembre dernier.
Cerise sur le gâteau : quatre des cinq pays où 74% des attaques terroristes mondiales ont été enregistrées depuis 2001 ont subi préalablement la médecine militaire américaine. Bilan net de cette escalade : entre 1,3 et 2 millions de morts, un décompte qui exclut les victimes de drones américains en Somalie et au Yémen, les frappes aériennes en Lybie, et la mission actuelle en Syrie.
À la lumière de ce carnage, peut-on encore conclure que la « guerre » au terrorisme, dont se réclament François Hollande et Barack Obama, est une réussite? Doit-elle être intensifiée? La « guerre » serait-elle une solution au problème du terrorisme ou un incitatif au terrorisme? Force est d’admettre que les campagnes militaires occidentales au Moyen-Orient ont fertilisé une terre où est né et où grandit les soldats de l’État islamique.
Pistes
de réflexion
Les solutions au terrorisme ne résident certainement pas dans le terrorisme lui-même, mais dans les causes qui le soutiennent. Parmi elles : l’argent. Non seulement faut-il couper à la racine les ressources financières des groupuscules terroristes, mais qui plus est, il faut accentuer la pression diplomatique sur les pays qui financent ou encouragent l’État islamique. Comme l’écrivait déjà Cicéron au 1er siècle avant Jésus-Christ : l’argent est le nerf de la guerre.
Les recettes de l’État islamique sont faramineuses. Entre 500 millions $ et deux milliards $ annuellement qui proviennent, entre autres, de la vente du pétrole présent sur le territoire qu’il contrôle. Mais qui achète ce pétrole? Principalement la Turquie et la Syrie. Pas directement l’administration d’Ankara ou de Damas, mais des organisations actives sur le terrain qui profitent de la passoire frontalière pour s’approprier l’or noir djihadiste via des passeurs plus ou moins clandestins ou des fonctionnaires corrompus. Colmater les trous de ces réseaux de distribution priverait l’État islamique de revenus évalués à plusieurs dizaines de millions $...par mois.
Qui plus est, les États engagés dans la lutte au terrorisme doivent impérativement fermer les ponts qui les unissent à l’Arabie Saoudite, car cette dernière sème aux quatre coins du monde, à coups de milliards $, une vision rigoriste de l’islam sunnite, dont s’inspire l’État islamique. Pendant que la pétromonarchie exacerbe les tensions sur le terrain, l’Occident paraphe, les yeux fermé et à l’encre de sang, de faramineux contrats d’armement avec le régime autoritaire saoudien.
En somme, « tout ce que savons de ce type de guerre [contre le terrorisme] menée depuis des décennies […] a conduit à l’échec. Il n’y a pas d’exemple aujourd’hui, Afghanistan, Irak, Libye, qui ne conduit pas à davantage de guerre et davantage de chaos. » Dixit Dominique de Villepin, ex-premier ministre de France.