par jean-marc Lord, collaboration spéciale
« Parmi les plus horribles dans le monde »
Cannibalisme forcé, viols de femmes en guise de salaire, fillettes réduites à l’esclavage, enlèvements d’enfants transformés en soldats, handicapés brûlés vifs ou découpés en morceaux, enfants pendus aux arbres, hommes émasculés, familles asphyxiées dans des containers par 40 degrés Celsius, pillages systématiques, meurtres de masse, vols généralisés… Le dernier rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies (HCNU) sur le Soudan du Sud, publié le 11 mars 2016, ne mâche pas ses mots pour décrire l’horreur qui sévit actuellement dans ce pays d’Afrique orientale. Petit retour sur un tableau digne du peintre Jérôme Bosch transposé au 21e siècle et où l’infamie locale se nourrit en partie du silence international.
La situation des droits de l’homme au Soudan du Sud est à ce point alarmante qu’elle est qualifiée, sans ambages, de « parmi les plus horribles dans le monde, avec une utilisation massive du viol comme instrument de terreur et comme arme de guerre », souligne le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein. Le recours au viol a pris une telle ampleur que le HCNU n’écarte pas l’idée que cette pratique soit tolérée officiellement par les forces armées gouvernementales, voire banalisée par le régime en place. « Les acteurs étatiques portent la plus grande responsabilité des violences pour l'année 2015 », précise le HCNU par voie de communiqué.
Indépendant de Khartoum depuis juillet 2011, rappelons que le Soudan du Sud a plongé les deux mains dans une guerre civile dès 2013, à la suite d’un désaccord entre le président actuel, Salva Kiir, de l’ethnie des Dinkas, et un mouvement de rébellion, mené par l’ancien vice-président Riek Machar, de l’ethnie des Nuers. D’un rapport de l’ONU à l’autre, la situation va de mal en pis dans le plus jeune pays de la planète, classé au 193e rang parmi les plus pauvres à la table des nations.
Après des décennies de guerre entre le nord et le sud, le conflit opposant les deux Soudan a fait plus de 2 millions de morts et 4 millions de réfugiés. La guerre civile au sud a quant à elle jeté sur les routes de l’exil plus de 500 000 personnes vers les pays voisins, alors que 2 millions de Sud-Soudanais errent à l’intérieur des frontières et entre 50 000 et 300 000 autres sont décédés.
des chiffres accablants
Les derniers chiffres en lice avancés par le HCNU, parfois appuyés par des images satellitaires, laissent pantois. Uniquement dans l’un des dix états qui découpent la carte géographique du Soudan du Sud, celui d’Unité, on dénombre des milliers de morts au cours de la dernière année, sans compter les milliers de viols colligés comme la pointe de l’iceberg. Grosso modo, plus de 60% des personnes interrogées par le HCNU ont perdu un proche depuis 2013, plus de la moitié ont vu leur maison détruite, 18% se sont fait enlever un enfant et 14% ont été torturés.
Autant de chiffres qui cachent autant de tristes histoires. À ce propos, le HCNU ne fait pas non plus dans la dentelle et rapporte en menus détails le récit des victimes rescapées des mains de leurs tortionnaires. Exemples parmi d’autres : l’histoire de cette femme violée par dix soldats gouvernementaux en bordure de la route alors que ses enfants étaient enlevés sous ses yeux ; l’épisode de cette autre femme qui, après avoir vu son mari se faire assassiner, a souffert de voir sa fille de 15 ans violée, toujours par des soldats en armes.
politique de la terre brûlée
Toujours dans l’état d’Unité, les forces gouvernementales et les milices qui y sont associées pratiquent la politique de la terre brûlée, c’est-à-dire qu’elles effacent systématiquement des cartes géographiques les villes et les quartiers sur leur passage. En 2014, le HCNU faisait état de 9 878 structures résidentielles rasées, et près du quart des résidences de la capitale. Une réalité qui plonge des populations entières dans une situation extrême située à la frontière de la famine. « L'imagerie par satellite a permis à l'équipe de corroborer les témoignages de la destruction systématique des villes et villages », note le HCNU dans son rapport.
l'histoire se répète
L’ONU et Amnistie Internationale publient régulièrement des rapports sur la situation au Soudan du Sud, essayant tant bien que mal de donner une voix à ce conflit qui peine à se faufiler jusque sur les écrans cathodiques occidentaux. Dès mai 2014, Ban Ki-Moon, secrétaire général des Nations Unies, avait des raisons de croire que les crimes contre l’humanité étaient monnaie courante au Soudan du Sud. À la lumière du dernier bilan rédigé par le HCNU, force est d’admettre qu’il avait raison de s’inquiéter.