par jean-marc lord, collaboration spéciale
L'essence illicite qui fait rouler le Bénin
Pendant que les automobilistes d’ici applaudissent lorsqu’ils font le plein à la pompe, le prix de l’essence poursuivant sa modeste chute en février, les revendeurs d’or noir itinérants qui s’égrainent un peu partout le long des routes du Bénin s’inquiètent à chaque fluctuation à la baisse. En effet, le kpayo, ce carburant de contrebande en provenance du Nigeria voisin, est devenu le véritable moteur d’une économie parallèle dans ce petit pays d’Afrique où le chômage avoisine les 60% chez les 25-34 ans. Petite chronique d’un pays qui carbure au kpayo.
absence de réglementation
Aux abords des chemins poussiéreux jouxtant la frontière nigériane, les stands, érigés avec quelques planches de bois, pullulent. Sur leurs étals, plombées par un soleil sans ombre et colorées par le sable ocre de l’harmattan, des bouteilles de verre remplies d’un liquide jaunâtre. D’abord acheté à bas prix dans les stations-service du Nigeria, qui subventionne son industrie pétrolière, le kpayo est ensuite revendu 30% moins cher que dans les postes officiels béninois. Selon la Banque africaine de développement, le kpayo échappe donc à tout contrôle de l’État et représente plus de 80% du marché du carburant au Bénin. Les pertes financières étatiques sont colossales pour ce pays classé parmi les 20 plus pauvres de la planète: plus de 300 millions $ (CAN) par année. Une somme qui, en bout de piste, crevasse le développement des services publics. Grosso modo, les 200000 revendeurs de kpayo béninois peuvent engranger 50 $ par semaine, alors que le salaire de base d’un fonctionnaire tourne autour de 65 $...par mois.
Absence de réglementation oblige, des centaines de milliers de petites mains manipulent ce liquide toxique et en respirent les vapeurs nocives. Transporté depuis le Nigeria tantôt par bateaux, tantôt par camions-citernes ou par motos surchargées de bidons de plastique, cette essence souvent frelatée constitue, pour le gouvernement béninois, «un danger pour les populations et une menace pour l’environnement, la sécurité et l’économie nationale». Et gare aux politiciens qui souhaiteraient éradiquer ces importations clandestines qui ont vu le jour dans les années 1980. En 2012, l’actuel président sortant, Thomas Boni Yayi, a bien tenté de faire la guerre à ce commerce bien huilé. En bout de piste, des émeutes meurtrières ont enflammé les quatre coins du pays.
C’est un euphémisme de dire que les conditions de stockage du kpayosont précaires. En fait, cette précarité est telle qu’elle entraîne régulièrement son lot d’accidents et d’incendies. Le 12 septembre 2015, par exemple, un revendeur de kpayo de Cotonou, capitale économique du Bénin, s’est transformé en torche humaine lorsque le précieux liquide qu’il transvidait dans le réservoir d’une moto s’est enflammé après avoir coulé sur une bougie d’allumage. Le 31 octobre, les flammes ont rasé une partie du marché de Dantokpa après qu’un marchand ambulant eut tenté d’échapper aux forces de l’ordre.
Les problématiques de santé découlant de la vente du kpayosont également légions dans ce pays dont la situation sanitaire est chancelante. Souvent versé à l’aide de tuyaux d’arrosage et d’entonnoirs artisanaux, les revendeurs ne portent aucun masque, respirant toute la journée les vapeurs de ce liquide dont la concentration en plomb est parfois plus élevée que l’essence de meilleure qualité. C’est dire qu’une fois brûlé dans les moteurs des populaires zémidjans (motos-taxis), le kpayogénère une pollution atmosphérique beaucoup plus importante que d’ordinaire.
Le 28 février 2016, les Béninois seront appelés aux urnes du premier tour du scrutin présidentiel. Témoin d’une démocratie qui peine à subvenir à leurs besoins, le kpayo a été le parent pauvre des enjeux électoraux. Pourtant, ils sont nombreux, les Béninois, a appeler à la légalisation de ce commerce, permettant aux revendeurs de travailler dans des conditions sécuritaires et, du même souffle, aux communautés d’engranger des taxes afin de fournir de meilleurs services publics. Faut-il le rappeler, dans ce pays qui carbure au kpayo, un enfant sur trois souffre encore de malnutrition et une fillette sur trois ne va pas à l’école.