Bienvenue en Kurdistan

par alice grinand. collaboration spéciale.


Le plus grand peuple apatride au monde fait doucement son entrée sous les feux des projecteurs à mesure qu’il devient pour les Occidentaux un pion stratégique dans l’échiquier proche-oriental, en particulier dans la lutte contre l’État islamique (ÉI). Pourtant, cette population est grandement méconnue.

Un peuple sans territoire

Éparpillée sur quatre pays, à cheval entre la Syrie, la Turquie, l’Irak et l’Iran, cette population, estimée entre 20 et 40millions, est unifiée par sa culture séculaire, voire millénaire. Car un État kurde indépendant n’est, à l’heure actuelle, que fictif. Néanmoins, les Kurdes ne sont pas une communauté homogène; des divisions linguistiques et culturelles notamment, les ont amenés à se disperser, jusque dans leurs luttes. En effet, majoritairement musulmans sunnites, à 80%, ils sont également chiites, alévis ou yézidis ou encore catholiques, assyriens, chaldéens, et syriaques.

Malgré ces différences, les Kurdes ont caressé l’espoir, au sortir de la Première Guerre mondiale et sur les ruines de l’Empire ottoman, de se voir reconnaitre et accorder un territoire autonome propre avec pour vocation la création d’un Kurdistan indépendant, comme le garantissait le traité de Sèvres signé en 1920. Cette promesse ne sera jamais respectée et bafouée 3 ans plus tard, notamment à cause de la soif de pétrole des puissances coloniales de l’époque; l’utopique Kurdistan sera donc atomisé par le traité de Lausanne. C’est peut-être ce qui pénalise leurs revendications territoriales: leur morcellement entre différents États, émiettant par là même leur lutte pour l’indépendance.

Menacés, mais résilients

Car si les Kurdes ont été malmenés dans le passé, c’est toujours le cas aujourd’hui. Par exemple en Turquie, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne, conduit une guérilla contre le gouvernement turc, qui mène une politique hostile et répressive vis-à-vis de cette minorité qui représente 20% de la population du pays. Alors que certains Kurdes prennent les armes pour revendiquer leurs droits, d’autres s’exercent à la démocratie, de façon plus confidentielle, et n’ont rien à envier aux systèmes de gouvernance occidentaux.

C’est par exemple le cas du Rojava, le «Kurdistan syrien». La ville de Kobané, c’est leur symbole de résistance, reprise de force par les combattants kurdes aux mains de l’État islamique. Mais le Rojava, c’est bien plus qu’une lutte contre l’organisation terroriste. C’est un bastion démocratique au milieu du chaos syrien. Dirigé par le Parti d’union démocratique (PYD), branche syrienne du PKK, avec à sa tête un duo mixte, le territoire «auto-administré» est né dans la confusion provoquée par la guerre civile syrienne. Il se présente comme un contre-modèle de l’État islamique: démocratique, égalitaire, multiconfessionnel et pacifique. Et il en est de même au Kurdistan irakien.

Pourtant, ce genre d’informations n’a été que peu, voire pas, relayé dans nos médias, probablement par égard pour notre partenaire de l’OTAN, la Turquie, qui voit les revendications des Kurdes d’un très mauvais œil. Mais le mécontentement des Turcs n’empêche toutefois pas les Occidentaux de se réjouir lorsque les peshmergas, les combattants kurdes irakiens, parviennent à reprendre des villes à l’État islamique.