État de guerre(s) au Soudan du Sud
Pendant que tous les projecteurs sont braqués sur le Moyen-Orient, un terrible et sanglant conflit embrase le Soudan du Sud dans une indifférence presque générale. Pourtant, en termes de morts et d’horreur, le Soudan du Sud n’a absolument rien à envier à la Syrie ou aux atrocités perpétrées par l’État islamique. D’autant que les conflits sur le territoire soudanais et sud-soudanais semblent à chaque fois résulter sur un nouveau conflit.
Une histoire de conflits
Les inimitiés entre les populations du nord et du sud du Soudan ne datent pas d’hier. Déjà à la veille de la fin de l’occupation égypto-britannique, les tensions entre le Soudan du Sud et le Soudan, qui à l’époque ne constituaient qu’un seul État, étaient palpables. Les différences culturelles entre le sud, animiste et chrétien, et le nord du pays, à majorité musulmane, ont été exacerbées par l’empire britannique, qui unit de force les deux entités dès 1898. Néanmoins, sous forme d’un condominium égypto-britannique, les deux régions étaient administrées comme deux entités distinctes. Ainsi, le Nord bénéficiait de la majorité des investissements sociaux et économiques.
Le départ des colons provoqua donc une véritable étincelle, et c’est ainsi que débuta la première guerre civile soudanaise, de 1955 à 1972. Le Sud de l’ancienne colonie se souleva avant même le départ de ses occupants, craignant que les rênes du pays ne soient remises à l’élite nordiste et que celle-ci impose une identité arabo-musulmane à l’ensemble du territoire.
La première guerre civile
Il faut rappeler que cette première guerre civile soudanaise eut lieu dans un contexte de guerre froide et de conflit israélo-palestinien. Du point de vue occidental, les volontés indépendantistes du Sud étaient perçues positivement: elle incarnait une bloquée de l’avancée de l’islam en Afrique noire et représentait un moyen de défier l’Égypte, bastion de la résistance palestinienne et de tenir l’Union soviétique à l’écart du continent africain.
Cette guerre civile s’acheva après la signature des accords d’Abbis-Abeba, en 1972, et qui accorda une large autonomie à la région sud du pays. Cette expérience d’autonomie, débutée dans l’optimisme, a vite sombré notamment face à la découverte de l’or noir sur le territoire du Sud, où se situe 85% des puits pétroliers du pays. Le Soudan voulant bénéficier au maximum de la manne pétrolière à venir, de nombreuses concessions accordées furent remises en question.
La seconde guerre civile
Le Sud du Soudan s’embrasa donc à nouveau à partir de 1983. La révolte, menée par le colonel John Garang, est initialement un mouvement anti-impéraliste et non-sécessionniste, son objectif étant de remettre en cause la domination arabo-musulmane de Khartoum sur le reste du pays.
La rébellion reçoit donc, dans un premier temps, le soutien de l’Union soviétique, tandis que l’État central est
appuyé par les États-Unis. Le coup d’État de 1989, appuyé par un parti islamiste et la chute de l’URSS en 1991 met fin aux soutiens extérieurs. Néanmoins, Washington revient finalement se mêler du conflit, décidant de prendre cause pour les Chrétiens persécutés du Sud. Sous l’impulsion de George W. Bush, les belligérants entament des négociations de paix en 2002. Les accords de Nairobi, ou Accords de paix global, signées en 2005, mettaient fin aux hostilités et prévoyait la tenue d’un référendum concernant l’indépendance du Soudan du Sud.
Celui-ci eut lieu en 2011, sous la supervision de Barack Obama, avec des résultats massivement en faveur du oui. Le nouvel État vit le jour dans la foulée. Néanmoins, la partition prévue lors de l’accord d’indépendance a laissé sans réponse des éléments clés, tels que le partage de la rente pétrolière et la délimitation des frontières. Ce qui provoqua inévitablement un nouveau conflit, encore non résolu, entre le Soudan et le Soudan du Sud.
Une démobilisation internationale
Cette nouvelle guerre civile, qui voit maintenant s’opposer l’armée officielle, fidèle au président Salva Kiir, et une rébellion menée par l’ancien vice-président, Riek Machar, a des conséquences désastreuses : 50000 personnes sont mortes depuis le début du conflit en 2013, et on compte 2,5 millions de déplacés. Une véritable catastrophe humanitaire dans ce pays économiquement paralysé.
L’ONU a lancé un signal d’alerte éloquent en publiant des chiffres plus qu’inquiétants : 30 000 personnes risquent de mourir de faim et plus d’un tiers de la population est concerné par cette crise alimentaire.
Le 27 octobre dernier, l’Union africaine publiait également, avec un an de retard – preuve que ce conflit n’intéresse que très peu – un rapport dans lequel les belligérants sont accusés « d’extrême cruauté ». Accusations de crime contre l’humanité, actes de cannibalisme forcé, des femmes violées et brûlées vives, le rapport est consternant.
Des accords de paix ont été signés en août dernier, et qui étaient supposés mettre fin à la guerre civile. Seulement quelques heures après l’instauration du cessez-le-feu, celui-ci était déjà violé. Le Soudan du Sud continue donc à entre-tuer, dans le silence et l’ignorance de la communauté internationale. Ainsi, alors que Washington a largement montré son soutien pour la constitution de ce nouvel État, mobilisant 600 millions de dollars par an – c’est même Barack Obama qui supervisa le référendum, l’aide humanitaire prévue actuellement par les États-Unis atteint à peine 50 millions de dollars.
Habituellement prompts à allonger les milliards de dollars, par exemple lors des crises en Afghanistan, en Libye, en Syrie ou en Irak, et en dépit de leur responsabilité dans ce conflit, il semble bien que les pays occidentaux ratent ici une belle occasion de jouer, au Soudan du Sud, un rôle efficace pour sauver des vies, favoriser un cessez-le-feu, et forcer les parties à s’entendre.
Le conflit au Darfour
Les années de conflit entre Khartoum et Juba ont résumé cette région à une dichotomie entre le Nord et le Sud du pays. Pourtant, la réalité est évidemment plus complexe et le conflit au Darfour est une illustration de cette complexité, tellement les tenants et aboutissants des hostilités sont difficiles à cerner.
Les tensions dans cette région de l’ouest du Soudan ont commencé dès les années 80, la population se soulevant face au pouvoir central de Khartoum. C’est la découverte de pétrole dans la fin des années 90 qui mit réellement le feu aux poudres. En 2003, la région du Darfour s’embrase. « Nomades contre fermiers », « Arabes contre Africains », « le gouvernement contre les rebelles », les causes de ce conflit sont toujours sujettes à débat: est-ce un conflit ethnique ? religieux ? économique ?
Si les causes de ce conflit sont méconnues, ces conséquences catastrophiques le sont tout autant: les dernières estimations officielles de l’ONU remontent à 2008. Déjà, le bilan était alarmant: 300000 morts, plus de deux millions de déplacées internes.
Pour en savoir plus sur la situation au Soudan du Sud:
Les rapports 2014/15 d’Amnesty International sur le Soudan du Sud et le Soudan
Page internet de la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud (MINUSS)
Légende: Les Sud-Soudanais paient malheureusement leur indépendance au prix fort : 50000 décès, 2,5 millions de déplacés…et les belligérants ne semblent avoir cure des cessez-le-feu et tentatives d’accords de paix.
Crédits photo: Arsenie Coseac – Flickr CC.