par jean-marc Lord. Collaboration spéciale.
Quatre pour cent. Le taux semble minime lorsqu’il apparaît sorti de son contexte. Mais lorsqu’on sait que 4% de la population mauritanienne, qui compte 3,8 millions d’habitants, vit sous le joug de l’esclavage, c’est une autre paire de manches. La République islamique de Mauritanie, pays saharien d’Afrique de l’Ouest avec fenêtre ouverte sur l’Atlantique, compte ainsi le plus haut taux d’esclaves per capita de la planète.
Au 21e siècle, l’esclavage revêt plusieurs masques : servage, travail forcé, esclavage sexuel, enfants soldats, mariage arrangé, prostitution, etc. L’ONU estime à 36 millions le nombre de personnes réduites aux diktats de l’esclavage, parmi lesquelles les femmes et les enfants occupent une proportion de 80%. Selon l’ONG australienne Walk Free, au moins 167 pays seraient touchés par ce fléau. En Mauritanie, le problème est tel qu’il est parfois héréditaire.
En effet, les esclaves mauritaniens modernes ne sont pas bien différents de leurs ancêtres. Principalement, il s’agit d’individus que l’on nomme harratins (20% de la population), ou « Maures noirs », qui servent aujourd’hui les nouvelles générations de « Maures blancs », Arabo-berbères débarqués dans le pays au 11e siècle. Depuis des générations, les uns asservissent les autres, parfois du berceau jusqu’au cercueil.
Sur papier, le gouvernement mauritanien n’est pas resté les bras croisés face à la persistance de cette pratique qui remonte au seuil de l’antiquité. En 1981, le pays abolissait officiellement l’esclavage intra-muros, criminalisant cette pratique en 2007. Le 13 août 2015, l’Assemblée nationale mauritanienne durcissait le ton face aux esclavagistes, qualifiant cette pratique de « crime contre l’humanité » avec, en bout de piste, des peines allant jusqu’à 20 ans de prison. Malgré tout, aucun esclavagiste n’a été condamné par les tribunaux depuis 2007. À l’inverse, il n’est pas rare que les abolitionnistes soient encore arrêtés et jetés au cachot sous prétexte « d’appel à la haine ».
C’est le cas de Biram Dah Abeid, 49 ans, lui-même descendant d’esclave, lauréat du prix des droits de l’homme des Nations Unies et candidat symbolique à l’élection présidentielle mauritanienne de 2014. Fondateur de l’Initiative pour la Résurgence du mouvement abolitionniste, ce véritable Spartacus subversif multiplie les coups d’éclat pour briser les menottes de l’esclavage qui enchaînent les Mauritaniens. Le 22 août 2015, Biram Dah Abeid a été arrêté puis condamné à purger une peine de deux ans de prison ferme sous l’accusation d’appartenance à une organisation non reconnue et rébellion. Son collègue blogueur, Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir, 29 ans, a eu moins de chance : en décembre 2014, il a été condamné à mort pour apostasie après avoir critiqué les discriminations sociales mauritaniennes.
Ainsi, beaucoup de chemin reste à parcourir dans la capitale mondiale de l’esclavage, l’un des derniers pays où certains enfants naissent esclaves et où le droit de viol est accordé aux propriétaires de « marchandises humaines ». Pour les 156 000 esclaves mauritaniens, fils et filles d’esclaves, mères et pères d’esclaves, exploités depuis des lustres par des maîtres assis sur des siècles de tradition, le chemin vers la liberté est comme un horizon lointain qui recule sans cesse à mesure qu’ils avancent.